Shaga - Étudier sur le terrain

Story by tfancred on SoFurry

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Alex est étudiant en science naturelles au CÉGEP, mais, après avoir attrapé une étrange maladie, sa vie change du tout au tout.

Cette histoire contient du TG et de la TF. Pour savoir en quoi le personnage se transformera, regardez à la fin de la description. Cette fiction comporte des scènes d'érotisme léger et ne convient pas à un public âgé de moins de 16 ans...

Alex deviendra une version anthropomorphique de Twilight Sparkle


S.H.A.G.A. - É tudier sur le terrain

CHAPITRE 1

Un mauvais coup

Très bien, Alexandre! Prochaine question, que signifie S.H.A.G.A.?

Trop facile, c'était...

Je fermai les yeux pour mieux me concentrer

Syndrome Humain d'Altération Génétique Acquis...

FAUX!

Comment, faux?

Acquis, c'est pour le Sida! Le SHAGA, c'est artificiel.

Découragé, je laissai retomber ma tête sur mon bureau.

Je n'y arriverai jamais! L'examen est demain et je n'arrive même pas à me rappeler d'une des questions les plus faciles.

C'était faux et je le savais parfaitement. Cependant, quand je faisais semblant d'être un idiot, Julie, cette jolie blonde que j'avais réussi à convaincre de me donner des cours particuliers avait l'agréable habitude de tenter de me remonter le moral. Cette fois ne fit pas exception. Elle se rapprocha de moi et me caressa le dos tranquillement.

Mais non. Tu n'as qu'à te rappeler que c'est le premier virus artificiel créé par l'homme!

À entendre ces mots, je souris intérieurement. C'était complètement faux. Le virus en question était soupçonné d'être le premier virus créé par l'homme, mais nous n'avions aucune preuve. Personne n'avait revendiqué sa création et aucune étude n'a permis de prouver hors de tout doute qu'il avait été modifié artificiellement. Le mot artificielle faisait référence au fait que l'altération génétique du patient n'était pas un changement naturel, mais qu'il était bien causé par un facteur extérieur.

De toute façon, tu crois toujours que tu vas couler tes examens, mais tu finis toujours avec un A!

Elle me sourit timidement.

On dirait presque que tu fais semblant d'être un idiot!

Moi? Jamais de la vie!

Elle se rapprocha lentement de moi...

Dommage, je commençais à me faire des idées!

Je me rapprochai à mon tour.

Bien, l'un n'empêche pas l'autre!

J'avais enfin réussi! J'allais enfin me la faire! Elle se rapprochait de moi. Ses lèvres étaient tendues vers les miennes. Ses yeux se refermèrent et, après une seconde d'hésitation, son cellulaire sonna.

Alors qu'elle répondait, je détournai le regard, tentant de ne pas avoir l'air trop découragé. C'était le comble de la malchance. J'étais sur ce cas depuis le début de la session et au moment où j'allais conclure, voilà que tout tombe à l'eau à cause d'un putain de coup de fil! En plus, l'air grave qu'elle avait adopté me montrait bien qu'elle devrait partir dès qu'elle aurait raccroché. Je m'imaginais en train de détruire son cellulaire à grand coup de marteau simplement pour me défouler un peu quand, enfin, elle se décida à raccrocher. Je tentai une approche, mais elle se détourna.

Désolée, je dois partir...

Rien de grave?

Non, juste mon père qui... Enfin bon, tu sais ce que c'est! Ça va aller pour ton examen?

J'imagine!

Si jamais tu ne t'en sors pas, écris-moi sur Facebook!

Sans plus de formalité, elle sortit de mon appartement sans même se retourner.

Le silence soudain résonnait à mes oreilles comme un rappel de mon échec. Dire que j'étais si près du but... Enfin bon, maintenant que j'étais seul, je n'allais pas perdre mon temps à étudier pour un examen ridicule. D'autant plus que la biologie était ma matière forte. C'était une passion que je m'étais découvert à la fin de mes études secondaires. Jusqu'alors je m'étais surtout concentré sur le sport et les filles, mais, quand j'ai remarqué avec quelle facilité je passais mes cours de biologie, j'ai décidé de me diriger vers les sciences nature au CÉGEP. Qui sait, je pourrais peut-être faire médecine après coup.

Toujours est-il que cet examen en particulier portait sur les virus, plus particulièrement sur le SHAGA qui avait fait beaucoup parler les scientifiques peu de temps auparavant. Le fameux Syndrome Humain d'Altération Génétique Artificiel s'attaquait directement à l'ADN de ses victimes, transformant leur apparence et la façon dont leur corps fonctionne. Sans entrer dans les détails ennuyeux, certaine souches exotiques avaient l'étrange et unique capacité à décoder les pensées d'un patient atteint et à les encoder directement dans son génome. Ainsi, en admettant qu'une personne infectée sautait en parachute et se trouvait à être traumatisé par cette expérience, le choc pouvait suffire à lui faire pousser des ailes.

Ce genre de cas extrêmes était plus rare. Généralement, le virus se contentait de tripatouiller au hasard l'ADN de tout le monde. Une personne pouvait ainsi attraper la trisomie 21 comme on attrapait normalement un rhume ou pire encore, devenir subitement roux.

Plus souvent qu'autrement, une personne infectée se retrouvait avec des attributs en provenance de la personne qui lui avait transmis le virus.

Tout ça semble bien dramatique, mais il faut tout de même relativiser : déjà, à l'époque où j'étudiais au CÉGEP, le traitement était disponible et les cas de mutation étaient devenus somme toute assez rare (1 personne sur deux mille environ).

Toujours est-il que la seule chose qui m'importait à cet instant, c'était d'aller passer ma frustration au gym. Après tout, je venais de passer les trois premières semaines de ma session à faire semblant d'étudier et j'avais de besoins de changer d'air.

Heureusement pour moi, mon statut d'étudiant me donnait accès aux installations du CÉGEP. Ce n'était rien d'exceptionnel: une simple piste de course entourant des appareils dans un état à peine acceptable, mais c'était gratuit.

Grâce à ma condition physique, j'ai pu me trouver une place comme commis d'entrepôt chez Brault et Martineau. Situé à deux minutes de voiture de chez moi et du CÉGEP, c'était l'idéal pour moi.

Le matin précédent mon examen, je devais vider une récente livraison de literie pour enfants. Une de ces promotions ridicules qui promettait aux acheteurs d'obtenir une couverture gratuite à l'achat d'un ensemble de chambre à coucher. Bien que le prix de la couverture soit simplement ajouté au prix du matelas, nous arrivions tout de même à gagner quelques ventes. Comme quoi il ne faut jamais sous-estimer la stupidité de la masse.

Je dois avouer que de vider un dix tonne n'était pas ma tâche favorite. En réalité, mes légères tendances claustrophobes rendaient cette tache particulièrement désagréable pour moi. Surtout depuis que certains de mes collègues s'en étaient rendu compte. Plusieurs fois, ils ont tenté de m'enfermer dans les camions de livraison pour voir comment je réagirais.

Évidemment, chaque fois, je paniquais et leurs rires narquois ne faisaient qu'empirer la situation. Jean-François, un petit maigrichon au visage mal rasé était particulièrement porté sur ce genre de plaisanteries douteuses.

Bien qu'il me soit impossible d'en avoir le cur net, j'ai l'intime conviction que c'est lui qui, ce matin-là, m'a joué ce sal tour.

J'étais sur le point de prendre la dernière boîte de la livraison quand j'entendis un grincement métallique. Je n'ai même pas eu le temps de me retourner que je me suis retrouvé dans l'ombre opaque de la semi-remorque.

Tentant d'atteindre la porte avant qu'elle ne se referme complètement, je trébuchai et me retrouvai face contre terre. Le verrou cliqueta, j'étais coincé. De l'autre côté, j'entendis un rire étouffé et des pas de course s'éloigner.

Je respirais par saccade. Incapable de me ressaisir, je restai là, allongé sur le sol rouillé. J'ignore combien de temps il me fallut pour reprendre mes esprits. Toujours est-il que dès que je réussis à regagner le contrôle de mes jambes, je sortis mon cellulaire pour appeler de l'aide. C'était en vain. Aucun signal n'arrivait à pénétrer la coque métallique dans laquelle j'étais enfermé.

Je pris une profonde respiration pour tenter de me maîtriser. Utilisant l'écran de mon IPhone en guise de lampe-torche, je regardai autours de moi. J'avais l'impression que les murs se rapprochaient de moi. Je tentai alors de me concentrer sur autre chose. Je remarquai alors qu'en tombant, j'avais éventré la boîte que je transportais, exposant du même coup les draps à l'effigie d'une sorte de cheval mauve. Essayant de ne pas penser à ma claustrophobie, je m'assis devant la boîte et en sortis un emballage. Il s'agissait d'un ensemble de literie pour fillettes à l'effigie de My Little Pony.

"Ils n'auraient pas pu offrir un PSP comme promotion" lançais-je à mi-voix avant de retourner mon attention vers mon cellulaire. Il était déjà treize heure trente. J'étais en train de manquer mon examen.

Je sentis la panique monter en moi. Je me jetai vers la porte de la remorque en criant à plein poumon pour qu'on vienne m'aider. Je continuai ainsi jusqu'à ce que ma voix se déchire de douleur et que mes points ne peignent la porte de mon sang.

Je donnai un ultime coup de pied dans la porte avant de me laisser retomber. Je sentais mes yeux se remplir de larme. J'essayai de me ressaisir en me disant que mon examen n'était pas si important qu'il ne comptait que pour dix pourcent de la note et que, compte tenu de la situation, j'aurais probablement droit à une reprise, mais j'étais incapable d'arrêter de pleurer. J'en étais même à luter intérieurement pour ne pas déchirer un des emballage de literies pour me vautrer dans une couverture bien chaude pour obtenir un peu de réconfort. Il faut dire qu'une remorque n'est pas particulièrement bien isolée et que les températures estivales commençaient à se lasser de réchauffer l'atmosphère.

Tremblant et sanglotant, je me relevai, ouvrit un emballage et mis une couverture sur mes épaules avant de me laisser tomber au fond de la remorque. Je pris une profonde respiration pour tenter de contrôler ma claustrophobie et fermai les yeux. J'essayais de m'imaginer ailleurs, quelque part à la campagne, dans un petit village perdu au fond d'une vallée. Je sentais presque le vent sur ma peau, les oiseaux qui chataient autours de moi, un cheval qui passe entre deux nuages, un poisson qui me caresse la joue avant de me dire de me réveiller.

Alex! ALEX, réveilles-toi merde!

J'ouvris enfin les yeux pour voir Robert, mon superviseur, penché sur moi avec quelques-uns de mes collègues pouffant de rire derrière lui.

Bon, enfin!

Il se retourna vers les autres idiots.

Non mais fermez vos gueules! Si je pogne celui qui a fait ça, il perd sa job! Est-ce que je suis clair?

Il me lança un regard paternel et réconfortant

Dis-moi que ça ne fait pas depuis ce matin que tu es enfermé ici!?

Encore à moitié endormi, je hochai la tête, presqu'honteux.

En plus tu avais un examen, je pense!

J'hochai encore la tête, la gorge trop douloureuse pour dire quoi que ce soit.

Écoutes, prends ta journée demain et si ton prof ne veut pas te faire reprendre ton examen, dis-lui de m'appeler.

Je me levai, tout tremblotant et me dirigeai vers la sortie de l'entrepôt. Juste avant d'atteindre la porte, quelqu'un m'interpela. Je me retournai et vit Jean-François, l'air radieux.

Tu oublies ta couverture, me lança-t-il.

Puis il je reçus un ensemble de draps en pleine figure. Trop surpris pour rétorquer, je ramassai le tissu coloré et repartis chez moi où je ramassai mes vêtements de sport et repartis pour me défoncer au centre sportif du CÉGEP. J'avais raté mon examen d'évolution et diversité du vivant ainsi que mon cours d'éducation physique, mais rien ne m'empêchait de brûler quelques calories, histoire d'évacuer mon surplus de stress.

Une fois arrivé au gym, je commençai par mon habituelle course à pied. Aussitôt, je sentis le stress de ma journée s'évanouir. Je me sentais enfin libre... Je fus même agréablement surpris d'avoir réussi à battre mon record de vitesse : vingt-trois tours en quinze minutes. C'était somme toute surprenant.

Puis, j'ai enchainé sur les poids. Malheureusement, ça ne s'est pas passé aussi bien que je l'aurais voulu. Habituellement, je prenais deux altères de 45 kilos et je n'éprouvais aucune difficulté à monter jusqu'à cinquante. Ce jour-là, cependant, j'étais tout bonnement incapable de les soulever du sol. Même ceux de quarante bougeaient à peine quand je tentais de les soulever. Normalement, je n'en n'aurais pas fait de cas si ça s'était arrêté là. Après tout, le fait d'avoir subi une telle crise de claustrophobie pendant plus de trois heures, il y a de quoi avoir quelques faiblesses. Cependant, ça ne disparaissait pas, au contraire. Hormis la course, les résultats de mon entraînement étaient désastreux. J'avais du mal à atteindre 70% de mes capacités habituelles.

C'est en sortant du gym que je décidai que j'utiliserais ma journée de congé du lendemain pour aller passer un bilan de santé. Peut-être est-ce que j'étais en état de choc ou je ne sais trop quoi. De toute façon, une des choses les plus importantes que j'avais apprise dans mes études en biologie, c'est qu'en essayant de diagnostiquer nos propres problèmes, notre imagination finit toujours par s'emballer : je n'étais pas médecin... Pas encore... Alors il valait mieux ne pas me faire trop d'idée.

Autant mon entraînement avait été décevant, autant j'étais exténué. Arrivé chez moi, j'actionnai mon réveil et me laissai tomber dans mon lit, déjà endormi.

CHAPITRE 2

Visite médicale

Ça devait bien faire trois heures que j'attendais comme un con dans la salle d'attente du CLSC (Nom donné à un type de clinique médicale publique au Québec) quand on m'invita finalement à entrer dans la salle d'examen.

À l'intérieur, une infirmière que je qualifierais de vieille brindille desséchée me força à m'assoir dans une petite chaise de métal. De son côté, elle se laissa sombrer dans un large divan de cuir.

Monsieur Langevin, je dois vous poser quelques questions de routine. Ça ne vous dérange pas?

Pas vr...

Très bien, antécédents de SHAGA?

Euh...

Très bien, on va dire que non... Fièvre, toux?

Pas...

Non plus, c'est bon...

Et vous venez pour?

J'ai vécu une crise assez intense de claustrophobie et...

Dans un élan de prétention, l'infirmière ferma mon dossier.

Si c'est passé, on ne peut pas faire grand-chose... Quand vous aurez fini de me faire perdre mon temps...

Ce n'est pas tout...

Alors dépêches-toi un peu...

Bien, on dirait que je n'ai plus de force.

C'est à dire?

Bien, avant ma crise, j'arrivais à lever cinquante kilos de fonte et, maintenant, j'arrive même plus à bouger quarante kilos.

D'accord, le médecin sera avec vous dans quelques minutes...

Quelques minutes? Je suis resté pratiquement deux heures de plus dans cette pièce à tenter de rendre cette chaise de métal confortable. En fait, j'étais sur le point de sortir et de tout laisser tomber quand, enfin le médecin entra dans la pièce.

C'était un homme de bonne carrure avec une barbe bien fournie. À la vue de ses quatre bras, je devinai qu'il avait déjà souffert de SHAGA. Bien qu'une telle situation puisse sembler plutôt ironique, de nombreux praticiens ont été contaminés au début de l'épidémie. C'était les risques du métier il faut croire.

Il s'assit dans le fauteuil et lu les notes laissées par l'infirmière dans mon dossier. Après quelques minutes de silence, il releva finalement la tête et me demanda :

On t'a fait une prise de sang?

Je fis non de la tête.

Alors on va commencer par-là lança-t-il avant de se lever et de passer voir un autre patient.

Une heure plus tard, je retrouvais la même infirmière qui m'avait accueilli plus tôt. Une piqure, quelques jurons, un regard oppressant de cette horrible brindille et j'étais (enfin) sorti du CLSC. De ce que j'avais compris, je recevrais mes résultats dans la semaine si j'avais quoi que ce soit.

Toujours est-il qu'il était maintenant près de treize heures et la faim commençait à me serrer le ventre. D'ailleurs je n'avais pas déjeuné ce matin-là, pas plus que je n'avais soupé la veille et mes jeans commençaient à me le faire remarquer. Je resserrai ma ceinture et rentrai chez moi où m'attendais un frigo bien rempli.

En début d'après-midi, je suis allé retrouver mon professeur de microbiologie, le cours dans auquel je n'avais pas pu assister la veille. C'était un homme grand aux cheveux gris et au large front. Malgré mes six pieds deux, je ne lui arrivais qu'à l'épaule et, encore, seulement si mes semelles étaient suffisamment épaisses. Son bureau était situé au deuxième étage du pavillon principal. L'endroit était plutôt sombre et la décoration datait des années 1970 : longs couloirs beige, sol de béton et, surtout, un enchevêtrement de salles et de de cul-de-sac qui n'était pas sans rappeler le labyrinthe du roi Minos. Chaque fois que je m'y rendais, je finissais par me perdre. C'était un véritable calvaire d'arriver à se retrouver dans ce dédale de mauvais goût mal éclairé.

Je frappai finalement à la porte et, presqu'aussitôt, Michel, mon professeur, ouvrit la porte. En me voyant, il laissa échapper un soupir de soulagement.

Ah! Tu vas bien... Quand j'ai vu que tu n'étais pas à l'examen, j'ai cru que tu l'avais attrapé toi aussi!

Attrapé quoi?

SHAGA, mon ami! Un des étudiants de ton groupe a choppé cette saloperie. Quand j'ai vu que tu étais absent...

Quelqu'un a attrapé le SHAGA? Vous savez de qui il s'agit?

Pour être honnête, je ne peux pas en parler... Ce n'est pas à moi de le dire... La moitié de la classe a été suivre un traitement préventif, mais je crois que c'est un peu exagéré comme réaction. Si quelqu'un l'avait attrapé, il serait trop tard pour éviter une mutation. Enfin bon, heureux de te voir en bonne santé! Qu'est-ce que je peux faire pour toi?

Eh bien, par rapport à l'examen d'hier...

Pas d'inquiétude, tu n'as rien raté. Compte tenu de la situation, j'ai jugé qu'il serait préférable de le remettre à plus tard. Il faudra deux bonnes semaines avant que tout le monde soit revenu de leur traitement préventif de toute façon. Au fait, qu'est-ce qui t'es arrivé hier?

Pour faire court, j'étais retenu au travail.

Je passai une partie de l'après-midi à discuter avec lui. J'y voyais l'occasion d'en apprendre un peu plus sur un domaine qui m'intéressait. Ce n'est qu'une fois ses heures de bureau terminées que je décidai de repartir. Je me levai donc de la petite chaise qu'il réservait aux étudiants qui venaient le consulter et lui serrai la main.

Il me dévisagea alors, l'air inquiet.

Tu n'étais pas un peu plus grand?

La question me surpris, mais je savais où il voulait en venir.

Vous vous inquiétez trop, Michel! Comme vous dites, si j'avais le SHAGA, j'aurais déjà subi des mutations.

Certaines mutations sont plus subtiles... Mais tu as raison!

De toute façon, si j'avais commencé à muter, il serait déjà trop tard...

Tu as encore raison! Allez, rentres chez toi et ne t'inquiètes pas avec ça.

J'étais debout, dans ma salle de bain, devant mon miroir. Est-ce qu'il serait possible que je sois plus petit? En y portant attention, il est vrai que mes vêtements me semblaient un peu plus grands. D'un autre côté, la différence est si minime qu'il se pourrait très bien que l'émotion des derniers jours joue avec ma tête. Michel devait avoir raison. Il ne fallait pas que je m'inquiète avec ça.

De retour dans mon salon, je remarquai la couverture de my little pony que j'avais ramené de l'entrepôt. J'étais si ébranlé que j'avais complètement oublié que je l'avais laissée là. Je la ramassai et, au moment de la mettre dans la poubelle, je m'arrêtai. Pourquoi jeter une couverture neuve? Il doit bien y avoir quelqu'un qui serait content de la recevoir. Je la rangeai donc dans un placard en me promettant de lui trouver preneur dès que j'en aurai l'occasion.

Je m'installai alors dans mon fauteuil, devant la télévision, mon ordinateur portable posé sur ma table à café. Je repensais à ce que Michel m'avait dit... Et si j'avais été infecté. Qu'est-ce que j'allais devenir? Dépendant de la branche de la maladie, je pouvais tout aussi bien devenir un monstre que simplement devenir roux... Sur le coup, je me demandai lequel des deux serait le pire. Je laissai échapper un léger rictus : être roux serait probablement pire. Il fallait que je me change les idées. Normalement, je n'aurais pas hésité à aller m'entraîner, mais ma séance de la veille m'avait laissé quelques raideurs au niveau des bras. En plus, je risquais de ne pas être capable de soulever mes poids habituels et une telle situation ne m'aurait certainement pas apaisé.

Non, il fallait que je trouve autre chose. Je repensais à la couverture dans mon placard. Pourquoi est-ce que cette série est si populaire après tout? Un de mes amis m'a même admis en être fan. Peut-être est-ce que je devrais y jeter un coup d'il avant de juger.

Vers minuit, je venais de terminer la première saison. Aussi surprenant que cette situation me paraissait, j'étais tout bonnement incapable de m'arrêter. Je continuai donc à enchaîner les épisodes les uns après les autres jusqu'à ce que je m'endorme devant mon écran d'ordinateur.

C'est mon téléphone qui me réveilla. Instinctivement, je jetai un coup d'il à l'horloge, il n'était que neuf heures trente.

Oui allô, décrochai-je, la voie encore enrouée par la nuit.

Bonjour monsieur Langevin s'il vous plaît!

C'est moi!

Bonjour, docteur Lefebvre du CLSC. J'ai reçus vos résultats de tests et... Bon, normalement, je demande aux patients de se déplacer pour ce genre de choses, mais nous sommes un peu débordés en ce moment comme vous avez pu vous en rendre compte. Je n'ai pas assez de quatre bras pour tout faire. Est-ce que ça vous dérangerait si je...

Non, c'est bon, vous pouvez me donner mes résultats tout de suite!

Bien...

Il hésita quelques secondes, prit une profonde respiration et lança, d'un seul trait

Je crois que vous avez contracté le SHAGA...

J'ai le...

Les tests plus approfondis sont en cours, mais je suis certain à 99% que c'est le cas. Votre bilan hormonal montre une nette augmentation du taux d'strogène et, pour tout vous dire... Certaines hormones ne sont pas humaines...

Pas humaines...

Inutile de paniquer... Ces situations ne sont pas rares... Pour l'instant, votre prise de sang n'a rien révélé de trop alarmant hormis vos hormones. Si, toutefois vous observez des changements inquiétants tels que...

J'ai le SHAGA?

Oui, c'est ce que je viens de dire... La seule chose que vous pouvez faire, c'est de bien observer votre corps pour vous assurer qu'aucune mutation dangereuse ne prenne place.

Et on ne peut rien faire?

Votre mutation est déjà en cours... À moins que votre transformation ne mette votre vie en danger, nous préférons laisser la maladie suivre son cours.

Mon cur battait à mille à l'heure et ma tête ne répondait plus. Tout ce que je savais sur cette maladie semblait s'évaporer peu à peu.

Qu'est-ce que je vais devenir?

Difficile à dire... La maladie en est encore à ses débuts. Compte tenu de votre bilan hormonal, je peux dire que votre chromosome Y a probablement été remplacé par un chromosome X, mais c'est tout ce que je peux dire. Aucun test ne permet de voir si le virus a atteint le cerveau. Il n'est donc pas exclu que vous observiez un changement de personnalité. C'est tout ce que je peux dire. Si vous avez d'autres questions, je vous invite à passer au CLSC, nous avons un groupe de soutien pour...

Je raccrochai sans attendre la fin de ses explications. Je me laissai tomber par terre, le regard vide. J'étais anéanti.

CHAPITRE 3

Le rapport quotidien

Après avoir reçus cette nouvelle, j'avais complètement oublié que j'avais un cours de chimie général ce matin-là. Je me sentais perdu, j'étais anéanti. J'ignore comment je suis arrivé au CÉGEP, mais à dix heures trente, je frappais frénétiquement à la porte du bureau de Michel. Après ce qui me sembla être une éternité, il m'ouvrit enfin, un casque d'écoute sur les oreilles et arborant un air déconcerté. J'entrai dans son bureau avant d'éclater en larmes.

Il referma sa porte et s'installa à son bureau. Inquiet, il me tendit une boîte de mouchoir. J'en arrachai un et tentai de contrôler mes sanglots. Après d'innombrables efforts, je finis par échapper un bout de phrase entre deux reniflements.

Je l'ai...

Le SHAGA?

Je fis oui de la tête, incapable de dire quoi que ce soit. À cet instant, je me sentis complètement stupide d'être allé voir un professeur plutôt que mes parents ou qui que ce soit d'autres, mais je me sentais incapable de me présenter dans un tel état devant mon père.

Michel adopta un air grave et se laissa tomber dans son fauteuil.

Au moins, la phase de contagion est terminée murmura-t-il.

Loin de me rassurer, je recommençai à pleurer de plus belles.

Écoutes, ce n'est pas si mal. La maladie est très connue maintenant. Quand je l'ai attrapé...

V... Vous l'avez attrapé?

Il hocha la tête.

Première vague, figures-toi! Imagine un peu le visage de mes parents quand je suis venu les visiter.

Comment vous étiez.

Petit... As-tu un indice sur ce que tu...

D'après le médecin, mon chromosome Y a muté en chromosome X...

Oh... Je vois... Eh bien, jeune fille...

À ces mots, je sentis mon cur se serrer.

Je suis toujours un homme...

Désolé d'être si dur, mais il faut te préparer au pire.

Je sentis les larmes couler sur mes joues.

Vous avez raison, répondis-je en baissant la tête.

Est-ce que c'est tout?

Selon le médecin, c'est impossible de le dire pour l'instant...

Il hocha la tête, songeur.

Écoute... La session risque d'être assez pénible pour toi. Voici donc ce que je t'offre. Plutôt que de faire les examens et les autres recherches, fais-un rapport au sujet de ta maladie. Je sais que la consolation est plutôt mince, mais c'est le plus que je puisse faire. Au moins, tu n'auras plus à t'inquiéter de mon cours.

Merci, professeur, dis-je en reniflant.

C'est rien! Maintenant, ce n'est pas que je veuille te mettre à la porte, mais j'ai un cours qui commence dans négatif trois minutes.

Oh, désolé, dis-je en me levant d'un bond. Je vous laisse aller!

Pas de mal. Je comprends ce que tu traverses...

Je lui serrai la main et sortis de son bureau. Sans trop comprendre pourquoi, je me sentais un peu mieux. Remplacer mes examens par cette étude sur le terrain me semblait étrangement réconfortant et, pourtant, mes études étaient bien le moindre de mes soucis à cet instant précis. Toujours est-il qu'une telle offre me faciliterait un peu la vie en fin de session.

Pour la deuxième fois en autant de jours, je me retrouvai devant mon miroir, scrutant chaque centimètres de mon corps, à l'affut du moindre changement : mes cheveux blonds semblaient les mêmes que la veille. Peut-être étaient-ils un poil plus foncés, mais ça pouvait tout aussi bien être mon imagination. Mes vêtements étaient un peu plus grands qu'ils auraient dû l'être, mais, encore, ce n'était rien d'alarmant.

Je levai mon t-shirt et m'attardai à ma poitrine. Elle n'avait rien de féminin : j'avais la même pilosité, ma musculature était toujours présente. Un peu moins définie, peut-être. Mes hanches, mes jambes, tout me semblait à peu près normal.

Après environ une heure à me regarder sous toutes les coutures, le seul changement que j'ai pu observer était un bouton qui m'avait poussé au milieu du front. Je sortis mon cartable et notai ces observations au-dessous des mots "deuxième jour".

J'avais indiqué que la veille j'avais perdu mes forces et que je semblais plus petit. En écrivant ce mot, je me demandai combien de temps il me restait avant qu'il ne me faille écrire "petite".

Je terminai la journée comme la veille, en regardant My Little Pony sur internet. Je venais de terminer la troisième saison quand je pris conscience de ce qui ce nouvel intérêt pour cette émission me venait probablement de ma maladie. Ce qui s'était passé dans le camion avait probablement déclenché ma mutation. Tout à coup, j'avais la nausée. Sans attendre, je fermai mon ordinateur portable tout en sachant que cela n'aurait aucune influence sur ma transformation. Je devais m'occuper l'esprit. J'attrapai mon cartable et y notai cette nouvelle observation. Tout en luttant pour ne pas reprendre mon visionnage de My little pony, je priais le ciel pour ne pas finir mes jours dans le corps d'une fillette de huit ans.

Mon réveil sonna à huit heures. Normalement, quand j'allais travailler, je ne me lève pas avant neuf heures, mais je devais remplir mon rapport sur ma transformation. Ce matin-là, plus de doute possible. Mes cheveux étaient plus foncés et un peu plus longs. Ma carrure était toujours relativement imposante, mais mon pyjama un peu trop grand mettait en valeur la légère perte musculaire que j'avais subit au courant de la nuit. Je retirai le haut de mon pyjama pour voir les dégâts de plus près : mes muscles étaient toujours aussi découpés, mais ils me semblaient moins imposants que la veille. Encore une fois, la différence était subtile, mais elle était présente. Seuls mes biceps me semblaient un peu plus volumineux. Je compris presqu'immédiatement qu'il me faudrait rapidement me procurer des soutien-gorge.

Je pris en notes l'évolution de ma maladie et sortit de chez moi. J'étais un peu en avance, mais je profiterai de l'occasion pour expliquer la situation à mon superviseur. Une fois dans ma voiture, j'ajustai mon siège à ma taille et je me mis en route.

Robert fut particulièrement compréhensif. Il m'accorda un congé maladie payé jusqu'à ce que je sois remis (ou remise lança-t-il de peur de me froisser) de ma mutation. J'insistai pour continuer à travailler, mais, compte tenu de ce qui s'était passé dans le camion, il croyait que m'exposer aux moqueries de certains de mes collègues risquait de me nuire plus qu'autre chose. Dans un sens il avait raison. Autant je redoutais de subir de mauvaise blagues par rapport à mon physique changeant autant je craignais de trouver toute une bande d'idiots repentants agissant avec moi comme on agit avec un malade en phase terminal. Aucune de ces deux idées ne m'enchantait particulièrement. Je n'ai donc pas insisté d'avantage et je suis rentré chez moi.

Aussitôt de retour chez moi, je m'empressai de retirer mes chaussures. Au cours de la matinée, elles étaient devenues progressivement trop larges et trop courtes. Elles demeuraient tout à fait portables, mais elles étaient tout simplement inconfortable. Je notai ce détail dans mon rapport avant de me laisser tomber dans mon fauteuil. La télé me semblait horriblement morne : hormis les informations, tout ce que je trouvais se résumait par le mot rediffusion. Devant moi était posé mon portable. J'hésitai quelques secondes avant de voir ma volonté m'abandonner : ma mutation était déjà en cours et me priver de ma nouvelle série préférée ne règlerait rien.

Je m'installai donc et terminai le visionnement de la troisième saison. Je profitai alors du téléchargement de la saison suivante pour me préparer un petit dîner rapide et revenir devant le miroir.

Encore une fois, les changements étaient subtils. Presqu'imperceptible, en fait. Mes cheveux étaient un peu plus longs, un peu plus foncés. J'étais visiblement plus petit que ce matin et mes épaules moins larges. La transformation accélérait, mais j'étais toujours très loin de pouvoir passer pour une fille. Je retirai mon t-shirt pour étudier ma musculature et, encore là, aucune surprise. Un peu moins de muscles, un peu plus de poitrine et, bien que mes seins naissants restaient relativement masculins, ils me rappelaient l'inévitable finalité de ma transformation.

Pour ce qui est du reste, le bouton sur mon front était toujours là, un peu plus gros peut-être, mes hanches étaient un peu plus généreuses, mais, sous la ceinture, tout était là. C'était une mince consolation puisque je savais pertinemment que mon voisin d'en dessous finirait par me laisser tomber lui aussi. Seul détail étrange que je m'empressai de mettre en évidence dans mon rapport était ma pilosité. Loin de s'atténuer, elle semblait au contraire s'épaissir. Le tout était peut-être causé par mon imagination ou ma perte de masse musculaire, mais le fait est que j'avais l'impression que mes poils étaient plus fournis qu'à l'habitude.

Ce soir-là, j'avais un cours de français. Un de ces cours obligatoires ridicules qui ne servent à personne et qui sont inscrit à l'horaire de tout le monde simplement pour justifier leur existence. En entrant dans la classe, j'avais l'impression que tous les regards étaient tournés vers moi. Évidemment, c'était faux. Tout le monde était trop obnubilé par leurs études (ou leur conversation) pour faire attention à qui que ce soit. Toujours est-il que j'avais l'impression d'être un extraterrestre avec mes jeans deux tailles trop grands, mes chaussures trop serrés et mon t-shirt mal ajusté. J'ai bien entendu quelques remarques autours de moi, mais rien de trop alarmant. Je savais que la situation serait probablement pire la semaine suivante alors je décidai de prendre les devants.

Quelques minutes avant la fin du cours, je levai la main et demandai de prendre la parole. La professeure, une femme rondelette d'un certain âge accepta sans, pour autant, se priver de me lancer un regard réprobateur.

Excusez-moi, lançais-je d'une voix chevrotante qui, sur sa lancée avait monté d'une octave avant de redescendre à son niveau normal. J'ai... Je subis quelque chose de difficile ces jours-ci...

Je pris une profonde respiration, je fermai les yeux et lançai d'un trait : "Pour faire simple, j'ai attrapé le SHAGA et il semblerait que d'ici peu, je serai une fille..."

Un silence de mort tomba alors sur la salle de classe. Après quelques secondes, je me levai et sortis sans ajouter un mot.

Devant mon miroir, j'essayais de remarquer tous les indices de féminité. Tant que mes seins restaient bien cachés sous un t-shirt, la différence était, pour ainsi dire invisible. Évidemment, quelqu'un qui me connaîtrait moindrement aurait tôt fait de remarquer que j'avais rétréci de cinq bon centimètres en moins de trois jours et que mes cheveux avaient passé du blond au brun. Cela dit, pour un étranger, je restais un garçon. Un garçon plutôt maigrichon en comparaison de celui que j'avais été, mais je restais un homme... Pour l'instant, du moins. Une certaine partie de mon anatomie semblait bien décidé à changer de carrière. Bien sûr, Junior était toujours là, mais pour ce qui est de la taille, disons que je n'étais plus tout à fait l'étalon que j'avais été.

Dans un sens, cette observation me rassura un peu : ma mutation était en cours et, plus vite elle serait terminée, plus vite je pourrai reprendre une vie normale... Enfin aussi normale que la vie d'une fille fanatique de My Little Pony puisse être.

CHAPITRE 4

Besoins de soutiens

Le vendredi était ma journée la plus chargée en termes de scolarité. Philosophie en première période, sitôt suivi d'astronomie, mon cours optionnel et, en dernière période, je devais subir un cours de calcul différentiel j'avais donc réglé mon réveil pour sept heures, histoire de prendre le temps de rédiger mon rapport et de me doucher.

La nuit n'avait pas été douce pour moi. Mes cheveux encore bruns au moment d'aller au lit avaient remplacés par une luxuriante crinière noir de jais. Celle-ci, rehaussée de magnifiques reflets bleutés aurait fait rougir d'envie n'importe quelle fille.

J'écartai une longue mèche de cheveux noirs qui m'empêchait de bien apprécier le spectacle. Ma chevelure, qui m'arrivait maintenant jusqu'aux épaules encadrait un visage qui, depuis les dix-neuf dernières années, avait l'étrange habitude d'être le mien. Malgré une mâchoire toujours bien carrée, ses traits s'étaient légèrement adoucis. Mes lèvres, légèrement plus roses laissaient paraître des dents d'une blancheur immaculée. Celles-ci, légèrement plus longues à l'avant, donnaient, à mes sourires à venir un aspect à la fois sauvage et innocent.

En toute hâte, je retirai mon pyjama pour laisser paraître ma poitrine qui, l'espace d'un instant, sembla me supplier de lui acheter son premier soutien-gorge. Mes seins n'étaient pas très gros, juste ce qu'il fallait pour mériter un double A ou un petit A. Cela dit, il m'était maintenant impossible de les confondre avec des pectoraux.

Ma silhouette aussi avait changé. Mes hanches continuaient à se développer laissant entrevoir les formes encore vagues de ce qui pourrait devenir une très jolie fille. Heureusement pour moi, entre mon travail, mes cours et mes séances d'entraînement, je n'avais pas vraiment eu le temps de fraterniser avec la faune étudiante. Si certains pourraient me décrire comme solitaire, la plupart de mes collègues étudiants ignoraient jusqu'à mon existence et c'était, à cet instant, une très bonne chose. Qui pourrait prêter aux changements physiques d'une personne qu'ils n'avaient jamais même remarqué. Tant que je ne croisais pas Julie, je devrais m'en sortir plutôt facilement.

Pendant le cours de philosophie, mes chaussures étaient devenues si justes que je n'arrivais plus à me concentrer. Du coup, je n'avais même pas la présence d'esprit pour répondre présent au moment où notre professeure lança mon nom à trois reprises. Heureusement, j'avais jugé bon de lui expliquer ma situation avant le début de la période. Cela m'évita une absence en plus des interrogations de l'enseignante à la vue d'un nouveau visage. Toujours est-il qu'à onze heure la douleur était devenue si intense je décidai de ne pas assister à mes cours de l'après-midi. Il me fallait à tout prix de nouvelles chaussures et, peut-être, quelques soutien-gorge.

Pieds nus, je parcourais les rayons d'un grand magasin. J'avais été obligé d'abandonner mes vieilles espadrilles dans ma voiture car elles étaient devenues si inconfortables qu'elles m'empêchaient de marcher. C'était étrange tout de même. J'avais perdu près de douze centimètres en quelques jours, mais, pourtant, mes pieds avaient, quant à eux, en avaient gagné quatre. Même une fois libérés de leur entraves, ils continuaient de me faire souffrir : chacun de mes ongles étaient bleuis tant ils avaient étés compressés. J'hésitai pendant plusieurs minutes. D'un côté, toutes les chaussures pour hommes étaient trop larges tandis que celles pour femmes étaient trop courtes. Après presqu'une heure à essayer toutes les paires que je pouvais trouver, je finis par prendre une paire de converse rouge de taille 13. En les attachant très serrées, elles m'allaient presque parfaitement. Qu'importe quel genre de femme je deviendrais, je pouvais être certain que je ne serais pas une Cendrillon.

Je du bien traînasser pendant deux heures avant de me décider à entrer dans le rayon des dessous féminin. À cet instant, j'aurais voulu être déjà une fille. En y réfléchissant bien, j'aurais peut-être dû prendre le temps de me raser avant de venir. Avec des vêtements suffisamment ajustés, je suis presque certain que j'aurais pu passer pour une fille vraiment très laide... Ou un garçon vaguement éliminé.

Est-ce que je peux vous aider?

Je sursautai. Une jeune vendeuse m'avait approché par derrière sans que je ne l'entende.

Je... Euh... Voudrais avoir un soutien-gorge.

Elle croisa les bras, l'aire sceptique. J'imagine que, sur le coup, elle me prit pour un pervers.

C'est pour votre petite amie?

Non c'est pour moi... Je euh... SHAGA...

Ses bras se décrispèrent et son regard, encore vaguement sceptique se remplit de pitié.

Est-ce que ça va aller?

Euh... J'imagine...

Elle me dévisagea un instant.

J'imagine que de te demander quelle grandeur...

C'est dur à dire... C'est juste temporaire de toute façon. J'ai l'impression qu'ils vont encore grandir ces deux-là...

Je laissai échapper un rire nerveux qui, venant de moi, sembla très féminin.

Je vais te mesurer.

Elle sortit un ruban de tailleur et l'enroula autours de ma poitrine. C'était étrange : normalement, une situation semblable m'aurait rendu particulièrement fébrile, mais, à cet instant, je ne ressentais rien. Il faut tout de même rappeler que j'étais sur le point d'acheter mon premier soutien-gorge. C'était suffisant pour occuper mon cerveau à autre chose.

quarante devrait suffire...

Ce qui veut dire?

Tu devrais te prendre un 40 double A.

Et on le met comment?

La question avait sortie toute seule. Pour retirer des sous-vêtements à une fille, c'était une chose, mais pour les mettre moi-même, c'en était une autre.

Après quelques secondes d'hésitation, elle me traîna dans une cabine d'essayage et me demanda de retirer mon t-shirt.

Je te demande pardon?

Allez-vas-y. Tu n'auras probablement rien que je n'ai pas déjà vu!

C'était étrange comme sensation. Pour un garçon, retirer le haut n'a rien de gênant, mais, depuis que j'avais quelque chose à cacher, je me sentais un peu mal à l'aise de laisser quelqu'un d'autre voir ma poitrine. Après quelques secondes de réflexion, je retirai finalement mon chandail et la jeune vendeuse sortit.

J'allais me rhabiller quand elle revint finalement.

Voilà, prends celui-là.

C'est quoi la différence?

C'est un A. Un double A aurait probablement été trop petit.

Merci...

J'enfilai le soutien-gorge non sans demander un minimum d'aide à mon habilleuse.

Voilà, ça te va comme un gant! Ça fait un peu bizarre de voir une fille avec autant de poil, mais ça te fait bien.

Merci pour ton aide!

C'est normal, j'ai un cousin... Une cousine qui est passée par là. Je sais que ça peut être difficile. Comment tu t'appelles?

Alex et toi?

Florence!

Je tentai de retirer mon soutien-Gorge, mais Florence m'arrêta. Non, c'est bon, gardes-le! Je vais te faire payer moi même!

Malheureusement, j'avais terminé mes courses à temps pour me rendre à mon cours de calcul différentiel. C'était probablement le cours que je détestais le plus. Enfin, si on excluait français et philosophie. Ce n'est pas qu'il me donnait du fil à retordre, bien au contraire. Il me semblait trop facile. Je m'arrêtai à la cafétéria me prendre une salade et je me dirigeai vers la salle de cours.

Comme j'étais en avance, seul monsieur Robert, le professeur était présent, grimpé sur une chaise â écrire des équations au tableau. C'était un homme plutôt petit avec les cheveux noirs et d'épaisses lunettes. Il semblait tellement absorbé par ses calculs que je n'osai pas le déranger.

Je m'installai donc à un bureau au fond de la classe pour manger ma salade.

Quelques secondes plus tard, il descendit de son perchoir et se retourna vers moi, surpris.

Alex?

Bonvour brovesheur, rétorquais-je, la bouche encore pleine de salade...

Michel m'avait parlé de ta situation, mais je ne pensais pas que... Enfin bon, tu as du courage de poursuivre ta session malgré tout.

J'avalai ma bouchée de salade et lui souris.

Bah, ce n'est qu'un mauvais moment à passer!

Au fond de moi, je savais que c'était faux et que ma seule envie était de rentrer chez moi et de pleurer en regardant une seconde fois l'intégral de My Little Pony, mais je ne laissai rien paraître. Je ne voulais pas paraitre pour le type qui s'apitoie sur son sort. Je n'étais pas le premier à attraper cette stupide maladie et je ne serais pas le dernier.

Ne sois pas trop surpris... Ou surprise... Qu'importe... Près de la moitié de ton groupe est absent. Avec deux cas de SHAGA dans la même classe... Enfin bon, l'hystérie collective, quoi! Au fait, tant que j'y pense, Michel m'a demandé de te remettre ça!

Il me tendit une enveloppe sur laquelle mon nom était marqué.

Merci, professeur!

En entendant ces mots, il me lança un regard rempli de curiosité.

Depuis quand tu m'appelles professeur?

Je tentai de répondre, mais rien ne venait. Un lourd silence prit alors la parole jusqu'à ce qu'il ne soit interrompu par quelques étudiants qui se joignaient au cours.

J'étais inconfortable assis à mon bureau. Mon soutien-gorge si bien ajusté en milieu d'après-midi devenait de plus en plus lâche au niveau des épaules tandis que les bonnets devenaient plus serrés. En plus, pour ajouter à mon inconfort, mon dos me faisait mal. Ce genre de douleurs n'était pas rare chez les patients atteints de SHAGA. Généralement, elles étaient associées à une croissance ou une décroissance osseuse rapide. Avec mes hanches qui s'élargissaient à vue d'il et ma taille qui diminuait à un rythme tout aussi effréné, il n'était pas surprenant que je subisse ce genre de revers.

Je tentai de me concentrer sur la matière du cours, histoire de ne pas penser à mes inconforts. Je serais probablement capable de trouver la valeur de X tel que demandé par monsieur Robert. Je me mis donc à gribouiller sur une feuille mobile et, à l'instant où notre enseignant eut terminé ses explications, je levai ma main. Celui-ci me dévisagea quelques secondes puis repris.

Quelqu'un d'autre pourrait-il donner une réponse dans cette classe?

J'insistai en secouant la main.

D'accord! Alex?

Je gardai le bras tendu sans répondre.

Alex...

Je ne répondis toujours pas. Inquiet, monsieur Robert s'approcha de moi et redit mon nom. Ce n'est qu'à ce moment que je me décidai à parler.

La réponse est quarante-deux, professeur, lançais-je, fier de moi.

Les quelques élèves suffisamment attentif pour entendre ma réponse pouffèrent de rire. J'avais recommencé. Sur le coup, je ne réalisai même pas qu'il avait dut me nommer trois fois pour que je réagisse. La honte d'avoir surnommé monsieur Robert "professeur" me faisait rougir de honte. Je m'enfonçai sous mon bureau, espérant que personne ne me remarque d'avantage.

Je me rappelai alors de la note que m'avait fait parvenir Michel. Je décachetai l'enveloppe en silence et lut son contenu : la mention manuscrite "si tu as une période libre" accompagnait une carte sur laquelle on pouvait lire "SHAGA - Groupe de soutien Lundi, 19h00 à 21h00, local CH022".

Je n'aurais jamais pensé qu'il y aurait un groupe de soutien pour les victimes de SHAGA. Toujours est-il que cette information pourrait être très utile. Je repensais à mon soutien-gorge mal ajusté qui m'avait coûté près de quarante dollars. Peut-être que quelqu'un aurait un truc pour ne pas se ruiner en nouveau vêtements.

CHAPITRE 5

Je m'appelle...

C'était enfin le week-end. Depuis que j'avais décroché mon emploi à l'entrepôt. C'était la première fois que je pouvais me permettre de paressé un samedi matin. Au chaud sous ma couverture, me m'étirai lâchement, espérant que la maladie aussi aurait décidé de prendre une journée de congé. Une douleur lancinante au bas du dos me ramena à la réalité.

Je me retournai pour tenter de retrouver une position confortable. Je ne voulais pas affronter le miroir ce matin-là. Je ne pouvais m'attendre à aucune amélioration et mon rapport pouvait bien attendre quelques minutes de plus. Pour l'instant, caché sous ma couette, j'arrivais encore à nier que j'étais en train de devenir une femme. La douleur dans mon dos devenait peu à peu insupportable. Je tentai de m'assoir, mais ça n'arrangea rien. Ce n'est qu'une fois debout que le mal relâcha un peu son étreinte. Je m'étais finalement levé et je savais ce que je devais faire.

Debout devant mon miroir, j'interrogeais mon reflet. J'étais encore plus petit que la veille. En tout, j'avais perdu vingt centimètres et je n'étais pas le seul. Junior sortait maintenant à peine de sa carapace et ses deux amis étaient à peine présents pour le supporter dans cette épreuve. Mes seins étaient un peu plus gros et mes épaules étaient plus frêles. L'une d'elles avait même trouvé le moyen de se frayer un chemin à travers le col de mon pyjama. Il me faudrait décidément une nouvelle garde-robe. Et un nouveau soutien-gorge, murmurais-je une fois ma chemise de nuit retirée. Mes cheveux, quant à eux, étaient un peu plus bleutés, un peu plus longs.

Hormis ma barbe que je n'avais pas rasée de la semaine, mon visage était suffisamment féminin pour me faire passer pour une fille. En fait, si je prenais le temps de me raser les jambes, les bras et le torse, j'étais pratiquement certain que je passerais facilement pour jeune femme. Bon, je ne serais probablement pas un sexe symbole, mais, à une époque, je n'aurais pas eu trop honte d'avoir une telle parure accrochée à mon bras.

Je remis mes boxers et, toujours seins nus, je tentai de prendre une pose sexy.

-Alors, fille ou garçon, demandais-je à mon miroir.

-...

Son silence voulait tout dire. Personne ne me prendrait plus pour un homme malgré toute ma pilosité. J'avais les larmes aux yeux. Je savais que ça arriverait tôt ou tard, mais je ne pensais pas qu'en moins d'une semaine, j'en serais arrivé à ce point.

J'étais sur le point de me raser pour en finir avec cette ambiguïté quand je remarquai le bouton que j'avais toujours au milieu du front. Déposant mon rasoir, je m'approchai de mon miroir pour le regarder de plus près. Il était encore plus gros que la dernière fois que je l'avais remarqué. Je le pinçai de toutes mes forces mais mes doigts glissèrent pour s'égratigner sur quelque chose.

  • Aïe, sursautais-je d'une petite note aigüe que je ne croyais pas pouvoir atteindre.

Je regardai mon index droit pour y voir une petite écorchure, de laquelle s'échappait une goutte de sang.

Mon reflet me dévisageait, surpris. Au milieu de son front, son bouton avait éclaté et laissait paraitre, en son sein, une petite pointe à peine visible. Intrigué, j'essayai de l'arraché, mais c'était en vain. C'était comme si un petit morceau de ma boîte crânienne avait décidé de lever la tête, histoire de voir de quoi le monde pouvait avoir l'aire à l'extérieur de ma peau. Je ne savais pas trop quoi penser. N'était-ce qu'une blessure ou une autre mutation causée par le Shaga. Je secouai la tête. Qu'importe ce que c'était, je ne pouvais pas y faire grand-chose : il était trop tard pour aller voir le médecin et je n'éprouvais aucune douleur... Du moins, si on excluait l'égratignure qui ornait maintenant mon index droit.

Après avoir avalé quelques cachets, histoire de calmer mon dos endolori, je me laissai sombrer dans un bon bain chaud dans lequel je finis par m'endormir.

Une sonnerie électronique me fit immerger des bras de Morphée.

Allô, répondis-je d'un hoquet un peu plus haut-perché que je ne l'aurais voulu.

Euh... Allô? Qui parle?

J'hésitai quelque secondes. Cette voix me disait quelque chose, mais je n'arrivais pas à mettre le doigt dessus : à la fois grave et timide, elle avait quelque chose de vaguement mystérieux.

Twilight...

Oh... Je crois que je me suis trompé de numéro.

Je mis quelque secondes à me rendre compte de ce qui s'était passé : je venais de me présenter comme Twilight.

Sans attendre une seconde de plus, je me précipitai devant mon miroir et m'examinai de la tête aux pieds. Je n'avais pas vraiment changé depuis mon rapport, mais je cherchais frénétiquement des yeux le moindre détail qui pouvait confirmer mes craintes. La pointe qui avait percé mon front... Mes pieds un peu plus longs que la veille. Tout se mettait en place dans ma tête, me laissant avec une seule conclusion possible : j'allais devenir une copie de Twilight Sparkle.

Je paniquais. Me transformer en fille, d'accord, à défaut d'aimer l'idée, c'était quand même quelque chose de vivable, mais devenir un poney, une petite pouliche bleu avec une mèche rose, c'était trop pour moi... Ça ne pouvait pas être vrai.

Comme pour tenter de me prouver que je devenais une vrai femme, j'entrepris de me raser de la tête aux pieds, histoire de me voir sans cette pilosité hirsute. Alternant les sanglots et les hoquets de douleurs, je finis par venir à bout de cette corvée.

Je me tenais devant mon miroir, une imberbe et indubitablement mignonne. Bon, il y avait toujours le problème de junior, mais, une fois habillé, je pourrais facilement être qualifié de mignonne. Je n'aurais probablement pas fait de défilé de mode, mais tout de même. D'une main, j'effleurai mon visage avant de sentir les larmes me monter aux yeux.

C'en était trop.

Je m'écroulai, en pleurs.

Dimanche matin, je n'osai pas affronter le miroir. Le fait de voir mon oreiller complètement éventré par ma corne toujours croissante avait suffi à gâcher ma journée. Mon dos me faisait encore plus mal que la veille et mes poils avaient déjà repoussé. Chacun d'eux arboraient déjà de vagues reflets lavande, avant-goût de ce qui m'attendait dans les jours à venir.

Même le fait de marcher était devenu difficile. Mes pieds n'avaient pas allongé, mais, en contrepartie, mon corps tout entier tentait de me faire comprendre par sa démarche chancelante que le statut de plantigrade n'était plus tout à fait adapté à ses besoins. Malheureusement pour moi, je n'avais pas les sabots nécessaires pour supporter une telle position et, à la moindre inattention, je finissais face contre terre. J'avais l'impression d'être à nouveau un enfant qui apprend à marcher.

Alors que j'étais assis à même le sol au milieu de mon salon, je ne pouvais m'empêcher de me demander si j'allais finir ma vie comme un quadrupède. Dans l'émission, mon personnage pouvait vivre une vie plutôt normale grâce à ses pouvoirs magiques, mais il était plutôt rare que le SHAGA ne donne de telles facultés aux patients infectés. Une douzaine de cas avait étés recensés au Canada, mais je ne me berçais pas d'illusion. Si je perdais l'usage de mes mains, je serais à jamais handicapé.

Je secouai la tête, il fallait que je trouve un moyen de me changer les idées. Le CÉGEP était fermé pour le weekend et je ne voulais pas appeler mes parents pour me confier à eux. D'une part, ils n'auraient probablement pas reconnu ma voix et, d'autre part, je ne m'imaginais pas leur annoncer que leur fils se transformait en Twilight Sparkle. Pas tout de suite, du moins.

Je tentai de me lever, mais mon pied glissa et je me retrouvai allongé sur le sol, le nez dans mon soutien-gorge qui se prélassait près de la salle de bain. Après quelques jurons bien placés, je me relevai finalement en regardant ce vêtement délaissé. C'était un vrais gaspillage de l'avoir acheté celui-là. En à peine deux jours, j'avais perdu tout ce qui me restait de ma stature et mes seins avaient gagné au moins une taille de bonnet, peut-être plus. Il faut préciser que le jour où l'on se retrouve avec de tels appendices, ceux-ci semblent toujours plus gros qu'ils ne le sont, tout particulièrement quand on avait l'habitude de se décrire comme un garçon.

Plus par curiosité que par nécessité, je l'enfilai pour me rendre compte que mon diagnostique était peut-être un peu exagéré. D'accord, les bretelles restaient un peu trop lâches, mais les bonnets m'allaient quand même plutôt bien. Visiblement, la situation était encore en pleine évolution, mais il n'était pas encore tout à fait bon à jeter. Cela dit, encore un jour ou deux et il ne me serait probablement plus d'aucune utilité. J'étais donc mûre pour une nouvelle séance de shopping en règle. Bien que l'idée de faire du lèche vitrine ne m'attirait pas particulièrement, je dois avouer que la possibilité de croiser Florence ne me laissait pas totalement indifférent. Elle était plutôt gentille et, avec un peu de chance, le fait de me confier à elle me changerait peut-être un peu les idées.

Je finis donc de m'habiller, confirmant du même coup que mes vêtements étaient tous devenus beaucoup trop grands.

Au moins, soupirais-je, je ne ferai pas ça pour rien!

Le centre commercial était bondé. Bien que j'aie pris soins de me raser de la tête aux pieds pour ne pas trop attirer l'attention, j'avais l'impression que tout le monde me dévisageait. Il faut dire que ma corne, malgré ses trois centimètres bien comptés (j'avais fini par faire mon rapport avant de partir), semblait avoir la faculté de magnétiser les regards.

Ce n'est qu'après cinq minutes, soit environ une douzaine de chute, que je finis par atteindre le rayon de lingerie où Florence travaillait. L'endroit semblait un peu plus calme que le reste du magasin, si bien que je retrouvai la jeune vendeuse cachée dans un coin, le nez dans un bouquin. Je m'approchai, sans bruit, n'osant pas la déranger.

Je toussotai timidement.

Elle leva les yeux, puis, surprise se leva d'un bon.

Désolée, je peux vous aider?

Oui... Euh... C'est moi!

Elle me dévisagea un instant puis haussa les épaules.

Twi... Euh...

Je réfléchis quelques secondes et repris.

Alex.

En entendant ce nom, ses yeux devinrent ronds comme des pièces de monnaie et elle me regarda de la tête aux pieds.

Alex? Tu as changé! Je ne t'aurais jamais reconnu! Il faut à tout prix faire quelque chose pour tes vêtements!

Alors que j'étais dans la cabine d'essayage, la jeune vendeuse faisait les cent pas, ramenant périodiquement un nouveau vêtement qu'elle voulait me faire essayer.

Estimes-toi chanceux, ricana Florence en me tendant un nouveau soutien-gorge par-dessus la porte de la cabine d'essayage. Tu aurais pu être enfermé avec un tas de poupée Barbie!

Je doute qu'on vende ce genre de trucs chez Brault et Martineau! Comment on met ce truc?

Commences avec les bretelles! Au fait, c'est un 32B! Tu veux vraiment que je t'appelle Twilight?

Non... Mais maintenant, je ne réagis presque jamais quand on m'appelle Alex...

Pas pratique! Est-ce que ça te fait?

Le soutien-gorge, ça va... Mais la jupe, je ne sais pas. C'est peut-être un peu trop tôt pour ça...

Laisse-moi voir!

J'hésitai quelques secondes puis tournai le loquet, j'avançai, pieds nus avec une jupe qui cachait tout juste ce qui restait de ma masculinité. Déjà, une légère repousse donnait une vague couleur violette à mes jambes.

Dommage que ta fourrure repousse si vite!

Je hochai la tête!

Je crois que je préfèrerais quelque chose d'un peu moins révélateur pour l'instant. Tu aurais des pantalons?

Si tu incites!

Elle me ramena un jeans et un pantalon propre et une jupe un peu plus longue cette fois-ci.

Pourquoi tu veux à tout prix que je mette une jupe?

Comme je t'ai dit, ma cousine est passée par là!

Et alors?

Tant que ton corps change, tu dois changer souvent de vêtements. Une jupe, ça te dure beaucoup plus longtemps que des pantalons!

Si j'en prends une, tu vas me laisser tranquille?

Elle hocha la tête, satisfaite.

Une fois la séance d'essayage terminé, je me suis donc retrouvé avec une paire de jeans, une jupe, deux hauts assortis et quelques bas longs pour cacher ma fourrure. En ce qui me concerne, j'étais pratiquement certain qu'elle finirait par passer entre les mailles de mes chaussettes, mais ça ne coûtait pas grand-chose d'essayer. Côté sous-vêtements, je me suis pris trois soutien-gorge de taille différentes, histoire de ne pas être mal pris au courant des prochain jours.

Dans l'ensemble, ma séance de shopping était une réussite. Florence m'avait même donné son numéro, au cas où j'avais de besoins d'une amie à qui parler. Rêveur, je ne pouvais m'empêcher de penser qu'à une époque, j'aurais sauté de joie d'obtenir ce genre de faveur aussi facilement. Pour l'instant, je me disais que c'était toujours agréable d'avoir une nouvelle amie, mais je n'avais aucune arrière-pensée. Disons que j'avais autre chose qui occupait.

Alors que je laissais mon esprit vagabonder, Je m'assis au bord d'une fontaine pour offrir un instant de répit à mon dos et mes pieds qui, à nouveau coincés dans des souliers trop courts, avaient recommencé à me faire souffrir. Alors que je regardais mon reflet dans l'eau turbulente, j'entendis un groupe de garçon parler de la jolie fille près de la fontaine. Mine de rien, je regardai autours de moi et, malgré la densité de la foule, j'étais probablement la seule personne qui correspondait à cette description. Je souris intérieurement : j'imaginais leur réaction s'ils savaient que je n'étais pas une fille... Enfin, pas tout à fait... D'un autre côté, je ne pouvais m'empêcher d'être un peu flatté par leur attention. Junior sursauta, me ramenant à la réalité. Ces pensées étaient ridicules. J'étais un garçon, je n'avais aucune raison d'être flatté ou même excité par cette situation. Je ramassai mes achat et partis. Un des garçons me suivit, mais je finis par m'en débarrasser en le laissant me rattraper et en me retournant pour lui montrer ma corne. Mine de rien, il continua son chemin, comme s'il espérait que je n'avais entendu ce qu'ils avaient dit à mon sujet : je suis jolie me répétais-je.

Cette phrase résonnait encore dans ma tête une fois de retour chez moi. Rêveur, je me rendis dans ma salle demain et me regardai dans le miroir. J'étais pratiquement pareille qu'au moment où j'avais rempli mon rapport, hormis peut-être mon visage. Mon nez s'était un peu retroussé et mes oreilles s'étaient un peu allongées. En y portant attention, ma silhouette aussi avait beaucoup changé au cours des derniers jours. Mes formes indéniablement féminines arrivaient même à attirer le regard des garçons. Comment avais-je pu passer à côté de ça? Je retirai mes vêtements. C'est vrai, je pouvais être décrit comme une jolie fille, mais mon minuscule ami, bien caché dans son caleçon, ne réagissait pas à la vue de ce corps de femme à moitié dénudé. Cependant, le simple fait de repenser à ce qui s'était passé au centre commercial me rendait aussi rêveur qu'une écolière.

Après de longues minutes d'hésitations, je finis par retirer mon caleçon pour voir ce qui ne se passait et puis plus rien. Seulement un repli de peau mal rasé qui semblait plutôt mécontent d'être là. Je m'approchai du miroir et y enfonçai un doigt pour y retrouvé Junior qui, toujours là semblait se préparer pour ses nouvelles fonctions. J'étais encore loin d'être une fille à ce niveau, mais, disons qu'extérieurement, rien ne permettait plus de m'en différencier. Alex était mort, j'étais Twilight.

CHAPITRE 6

J'aurais mieux fait d'apprendre à coudre...

Il devait être environ trois heures du matin quand je fus réveillé par une douleur déchirante au bas du dos. Je tentai de me lever, mais c'était inutile, la douleur était trop forte. À quatre pattes, je m'extirpai de mon lit pour me rendre jusqu'à la salle de bain pour voir ce qui se passait.

Pendant vingt minutes, je tentai d'atteindre l'interrupteur pour faire la lumière là-dessus, mais chaque fois que je tentais de me redresser moindrement, un coup de couteau me traversait toute la colonne vertébrale, comme si on tentait de me la retirer de force. Encore entre le sommeil et l'éveil, mon esprit embrumé tentait en vain de donner un sens à la situation. Je restai allongé comme ça près d'une heure devant ma douche avant qu'enfin, la douleur ne se calme un peu. Profitant de cet instant de répit, je pris appuis contre le mur et, réussis enfin à actionner l'interrupteur.

Il me fallut quelques secondes de plus pour réussir à me contorsionner suffisamment pour voir ce qui m'arrivait. Je soulevai ma chemise de nuit et je sentis quelque chose bouger dans mon pantalon de pyjama. Incrédule, je baissai mon pantalon pour apercevoir une queue presqu'imberbe qui frétillait derrière moi. Elle mesurait une trentaine de centimètre et quelques poils épars la décoraient déjà, présage de son apparence future. Je me laissai tomber par terre. J'imagine que n'importe qui aurait paniqué suite à une telle découverte, mais la douleur m'avait tellement exténuée que j'étais seulement soulagée que ça soit terminé. Encore toute titubante, je me rendis dans la cuisine où je trouvai une paire de ciseaux, je découpai un trou dans mes caleçons et dans mon bas de pyjama, puis je retournai dormir.

Je dormis jusqu'à dix heures ce matin-là, déjà consciente que mon rapport serait particulièrement étrange ce matin-là.

Devant mon bon vieux miroir, j'étais presque déçue de voir que mes seins n'avait pratiquement pas grossis : ils semblaient se stabiliser autour de la taille B, me laissant avec deux soutien-gorge de taille C probablement totalement inutiles. Au cours de la nuit, ma queue avait commencé à se garnir du même crin bleuté qui constituait ma chevelure qui, de son côté, s'étaient décorés d'une mèche rose au niveau du toupet. Ce qui avait été ma barbe s'étendait maintenant jusqu'à mes paupières inférieures. Même un homme n'aurait jamais pu rêver d'avoir autant de poil au visage.

Mes pieds, quant à eux avaient finalement décidé d'arrêter de grandir. C'était au tour de mes orteils de faire leur part. Alors qu'elles commençaient à se fondre les unes dans les autres, mes ongles étaient devenus plus longs et plus épais frappant le sol à chacun de mes pas. Je fus particulièrement rassurée de voir que mes mains ne semblaient pas vouloir suivre le même chemin pour l'instant.

Une fois ma douche prise et mon visage rasé, j'entrepris de raccommoder ma paire de jeans, histoire que ma queue ne soit pas coincée à l'intérieure toute a journée. Alors que je réussissais tant bien que mal installer un bouton pour faire tenir le rabat en place, je ne pouvais m'empêcher de regretter de ne jamais avoir appris à coudre convenablement.

Je mis près d'une heure à finir ce projet d'artisanat et, je dois avouer que le résultat était loin d'être parfait. Au moins, ça tiendrait le coup le temps que j'aille à mes cours. J'étais sur le point de sortir quand je me rendis compte que je n'avais pas pensé à acheter de nouvelles chaussures la veille. J'hésitai une seconde. Un seul regard à ce qui semblait être en voie de devenir une paire de sabot tous neufs me confirma qu'aucune espadrille au monde ne pourrait m'aller. Je me résignai donc à faire mon deuil de l'époque où je devais porter des chaussures. Ça me ferait toujours bien une petite économie. En plus, je ne finirai pas comme ces filles ivres d'avoir une armée d'escarpins à leur service. Pour moi, une paire de fer neuf par année me suffira.

Mon premier cours commençait à treize heures et avait pour sujet Évolution et diversité du vivant. Comme c'était Michel qui donnait ce cours, je n'avais pas trop peur de le surprendre en arrivant en pleine transformation. Étant un peu en avance, j'en profitai pour aller me chercher un plat de pâtes à la cafétéria avant d'aller attendre le début du cours.

Je venais tout juste de finir de manger quand Michel entra finalement dans la salle de classe. Il me dévisagea avant de s'assoir à son bureau.

Excuse ma question, mais qui es-tu...

T... C'est moi Alex!

Ah! Désolé, mais avec deux cas de Shaga, je peux jamais être certain de qui est qui! Est-ce que tu as reçus mon message?

Oui! Merci de l'invitation! Est-ce que je peux vous demander quelque chose?

Bien évidemment!

Pourriez-vous m'appeler Twilight dorénavant?

Twilight? Pourquoi donc?

Je ne réagis plus à mon nom. En fait, je crois que je me transforme en une copie du personnage de Twilight Sparkle.

Ah... Tu as la souche Cérébrale, donc?

J'imagine!

Un étudiant entra et me dévisagea. Je reconnus le garçon qui m'avait suivi la veille au centre commercial. Je lui souris timidement, mais il détourna le regard et continua son chemin jusqu'au fond de la classe.

Alors, ma chère Twilight, peut-on compter sur vous pour la réunion de ce soir?

Oui, professeur, répondis-je joyeusement.

Le cours se passa sans accro majeur. Comme nous en étions au deuxième chapitre sur les mutations du SHAGA, Michel ne s'est pas gêné pour m'utiliser comme exemple, me demandant même d'aller devant la classe pour montrer ce qu'il a qualifié d'un cas sévère de SHAGA type 2 (la fameuse souche cérébrale dont j'étais visiblement atteinte).

En plus d'être capable de lire des informations à même l'influx cérébral, il semblerait que cette maladie soit aussi capable d'inscrire des informations dans la mémoire du patient, transformant ses souvenirs, sa personnalité et même son nom dans mon cas.

Si, au début, j'étais plutôt mal à l'aise d'être montrée comme un animal de foir, le côté académique et l'humour de Michel excusait complètement la situation. Ce n'était pas pour mal faire et, en plus, j'étais effectivement un très bon cas d'étude.

À la fin du cours, je saluai Michel et sortis de la classe pour être finalement rattrapée par le garçon de la veille.

Alex!

Bien que, cette fois, j'avais compris qu'il m'adressait la parole, il m'avait donné l'excuse parfaite de ne pas lui répondre et je continuai mon chemin. Cependant, j'entendais toujours ses pas pressés derrière moi. J'accélérai le pas.

Twilight!

Je m'arrêtai net sans même y réfléchir, maudissant le SHAGA pour jouer avec mon cerveau. Je me retournai alors, hors de moi.

Quoi?

Je... Je voulais juste m'excuser?

T'excuser pourquoi? Pour m'avoir ignoré?

Euh... Un peu... Bien, en fait, je crois que c'est surtout pour t'avoir mise mal à l'aise et...

Et pour m'avoir suivi?

Oui, mais...

Mais quoi?

C'était juste pour m'excuser pour les commentaires de mon frère et ses amis. J'ai cru comprendre qu'ils t'ont un peu vexée...

La colère disparût d'un coup, laissant place à un horrible sentiment de honte.

Je... Je suis désolée... Bredouillais-je. Je n'étais pas vexée. Disons juste que mes sentiments sont un peu confus, ces jours-ci.

Je te comprends. Est-ce que je peux t'inviter à prendre un verre.

Tout s'arrêta d'un coup net. Mon cerveau était court-circuité, deux portion de mon être luttait l'une contre l'autre : d'une part, je me sentais tellement flattée par une telle invitation, mais, de l'autre il y avait toujours une petite partie de moi qui luttait, refusant obstinément de sortir avec un autre garçon.

Alors, c'est un oui?

Je... J'ai un cours qui commence dans cinq minutes... Je dois y aller!

Ce n'était pas tout à fait faux : habituellement, j'avais un cours d'activité physique de 15h30 jusqu'à 18h30. Cependant, compte tenu ma condition actuelle, j'avais obtenu une exemption le temps que mes mutations se stabilisent.

Je passai donc lest trois heures suivantes cachée au fond du café étudiant, songeuse. Est-ce que ce garçon tentait vraiment de me draguer? En tout cas ça en avait l'air. Il n'y a pas si longtemps, c'était moi qui draguait les filles de cette façon et maintenant...

Tout se bousculait dans ma tête. D'un côté, ce qui restait d'Alex en moi me criait que je ne pouvais pas sortir avec un homme, mais, de l'autre, Twilight, elle, je traitais d'idiote de ne pas au moins lui avoir demandé son numéro... Ou son nom. Je laissai tomber ma tête contre la table.

  • Aïe!

Un bruit sec suivi d'une douleur sourde me rappela la présence de ma corne. Heureusement, la table avait encaissé tous les dégâts. Je regardai autours de moi, personne ne m'avait vu. Décidément, mes sentiments devenaient plus compliqués de jour en jour.

À 18h55, je me tenais debout devant la porte du CH022. Je ne savais pas vraiment à quoi m'attendre. En règle générale, les victimes du SHAGA semblaient plutôt normales. Je repensais à Michel qui, s'il ne m'avait pas dit qu'il avait attrapé cette maladie serait resté, à mes yeux, qu'un grand type tout à fait normal. Après quelques secondes d'hésitation, je frappai à la porte.

Une fille aux yeux verts et aux cheveux roux entrouvrit et me regarda de la tête aux pieds. Elle était habillée de rose de la tête aux pieds et semblait sur le point d'exploser tant elle irradiait la joie de vivre.

  • Tu dois être Twilight?

Je hochai la tête sans rien dire.

Entre! Michel m'a parlé de toi!

J'entrai et m'installai à une table à l'avant de la classe. C'était probablement le local le moins bien entretenu de tout le CÉGEP. Tous les meubles étaient tachés de peinture, des graffitis recouvraient chaque mur visible et l'épaisse couche de poussière recouvrant le sol me fit instantanément l'époque où je pouvais porter des chaussures.

La fille qui m'avait ouvert s'assit devant moi et me sourit.

Alors, c'est vrai! Quelqu'un se transforme en Twilight Sparkle?

J'en ai bien l'impression lançais-je mi amusée mi agacée par sa réflexion.

Désolée, je ne voulais pas t'embarrasser! Je suis Patricia, sourit-elle en tendant vers moi deux mains droites. Pour la main, je te laisse le choix!

Ma surprise devait se lire sur mon visage puis qu'elle enchaîna sans même attendre une poignée de main.

Je suis née comme ça! C'est mon père qui a muté dans la première vague quand il faisait son internat!

Et ça ne te dérange pas?

Bien, j'imagine que c'est beaucoup plus difficile pour toi. Moi, je n'ai rien connu d'autre.

Alors qu'elle continuait de parler, je remarquai qu'il n'y avait qu'elle et moi dans la salle.

Nous sommes seules, l'interrompis-je.

Non, Michel va arriver dans quelques minutes. Mais les autres risquent d'être absents aujourd'hui. Disons que nous avons été mis au courant de la réunion un peu à la dernière minute. Michel voulait t'aider, mais il a oublié qu'on était à la mi-session!

Elle fouilla dans son sac à dos et en sortit un document qu'elle me tendit.

Tiens! Aujourd'hui, on va remplir ça ensemble!

Je la dévisageai un instant et, avant que je ne puisse enchaîner une seule objection, elle poursuivit.

Je sais ça doit avoir l'air épais, mais je l'ai rempli une douzaine de fois, ça ne sera pas long!

Et qu'est-ce que c'est!

Paperasse légale, mon petit poney! Nouveau permis de conduire, demande de mise à jour de ta carte d'assurance maladie et, juste pour toi, changement de nom...

Ça nous a pris une heure avant de traverser le document en entier. Autant j'appréciais l'aide de Patricia autant son excessive joie de vivre avait tendance à m'étourdir : je n'avais pas le temps de remplir un formulaire qu'elle m'en tendait déjà trois autres. Finalement, ce n'est que vers vingt heures que Michel arriva.

Tu n'étais pas sensé amener un autre nouveau, demanda Patricia qui, pour la première fois de la soirée, avait arrêté de sourire.

Non, il n'est pas tout à fait à l'aise pour l'instant...

À cet instant, il se retourna vers moi, souriant.

Patricia ne t'a pas trop embêté avec sa paperasse?

Nous venions tout juste de terminer, professeur!

Bien! Ça beau être ennuyant à faire, c'est un peu un passage obligé. Chaque semaine, j'entends parler de quelqu'un qui s'est fait prendre parce qu'il ne savait pas qu'il devait obtenir de nouvelles pièces d'identité.

Pourtant ça tombe sous le sens!

Elle n'en savait rien!

Je rougis légèrement.

Ne t'en fais pas, tu avais d'autres chats à fouetter! me rassura Michel, tout sourire.

Je quittai cette réunion à 21 heures. Michel se proposa pour faire le reste des démarches nécessaires pour me permettre d'obtenir mes nouveaux papiers d'identité avec un nom qui me correspondait d'avantage. Malgré les conseils de Michel qui aurait préféré que j'accepte quelque chose de plus conservateur comme Tania, j'insistai pour conserver Twilight. Bien que je sache que c'était le SHAGA qui me faisait agir ainsi, je ne pouvais pas aller contre ma nouvelle identité et, à ce sujet, Patricia était d'accord. Selon son père, le fait de lutter contre un changement de personnalité, aussi ridicule soit-il, risque d'entraîner une dépression sévère. Je n'avais pas appris grand-chose de plus au courant de cette soirée, mais, au moins, j'avais évité de graves embêtements.

CHAPITRE 7

Ce genre de semaines

C'était le matin et je n'avais pas réussi à fermer l'il. En plus des horribles crampes qui m'avaient torturé jusqu'aux petites heures du matin, ma fourrure avait choisi cet instant pour apparaitre. Aux environs de dix heures, j'en ai eu assez de me retourner sous ma couette et je décidé d'aller faire mon rapport, histoire de me changer les idées.

Ma taille s'était finalement stabilisée. Je mesurais maintenant environ 1 mètre 65 et ma poitrine en était restée à son habituelle taille B. Je n'avais plus d'orteils et mes pieds se terminaient maintenant par une vague ébauche de sabot constituée d'un unique ongle noircis qui, frappant contre le sol, accompagnait chacun de mes pas d'un timide cliquetis. Au moins, grâce à cette nouvelle mutation, mon équilibre semblait s'être légèrement amélioré.

Hormis la fourrure lavande qui les recouvrait, mes mains semblaient totalement et fonctionnelles. J'en étais soulagée.

Alors que je retirais mon pyjama pour prendre une douche, je remarquai une petite tache rougeâtre au fond de mes pantalons. Je ne mis qu'une fraction de seconde à comprendre ce qui m'arrivait. S'il me restait un seul doute concernant ma condition féminine, il venait de partir en fumée.

Mon nouveau manteau de fourrure intégral aussi me posait son lot de problème : en plus de nécessiter une quantité impressionnante de shampoing, il me fallait une bonne demi-heure à sécher suffisamment pour pouvoir m'habiller. Le fait d'avoir certain contretemps féminin en plus ne me facilita pas la tâche. Je réussi néanmoins, grâce à un vieux bout de chiffon, à me rendre à la pharmacie la plus proche pour me procurer le nécessaire.

J'étais terriblement gênée de me retrouver dans le rayon d'hygiène féminine. D'une part, j'aurais dû être préparée et, d'autre part, je n'avais pas la moindre idée de ce que je devais choisir. Devant l'imposante sélection de marques et de modèle, je soupirai, fermai les yeux et attrapai le premier paquet de serviette qui me tomba sous la main.

Une fois équipée pour la prochaine semaine, je retournai au CÉGEP. J'avais de besoins d'oublier cette désagréable impression de porter une couche. Étant interdite de gym jusqu'à la fin de ma transformation, je me dirigeai directement à la bibliothèque. Selon la série, j'étais sensé être pour le moins bibliophile. Bien que je n'aie pratiquement jamais mis les pieds dans une bibliothèque de ma vie (internet m'avait toujours parût bien pratique), je me disais que ça ne coûtait pas grand-chose d'essayer. Depuis que ma personnalité avait commencé à changer, j'avais l'impression de ne plus me connaître. Certaines pratiques dans lesquelles je me complétais depuis ma plus tendre enfance n'avaient maintenant plus le moindre intérêt et, alors que mes émotions se complexifiaient chaque jours un peu plus, j'avais l'impression que mon cerveau manquait un peu de divertissements. C'était presque comme si je devais faire connaissance avec moi-même.

En entrant dans la bibliothèque, il ne me fallut pas très longtemps pour me rendre compte que je n'avais pas la moindre idée de ce que je devais faire. Tous ces livres empilés sur des étagères se ressemblaient tous un peu et, bien que leur ardeur me parût immédiatement réconfortante, je n'avais pas la moindre idée de ce que je devais faire.

Je m'avançai timidement jusqu'au centre de cette vaste pièce circulaire où se tenait derrière un vaste bureau, une petite dame qui ne devait pas faire plus qu'un mètre quarante et portait, en guise de robe, ce qui semblait être un vieux rideau fleuri. Complètement obnubilé par son écran d'ordinateur, elle ne remarqua ma présence qu'à l'instant où je laissai échapper un habile toussotement.

Elle tourna paresseusement la tête vers moi, puis sursauta, renversant son café sur une pile de bouquin usés.

Ah, c'est malin! Tu n'aurais pas pu faire attention?

Euh, je n'ai rien...

Tu m'as fait peur, petite idiote!

Je respirai profondément pour ne pas perdre mon calme et maîtriser Alex qui me criait de lui foutre une baffe.

Désolée, je...

Commence par enlever cet horrible masque qu'on puisse parler...

C'est mon visage, madame.

Maudites initiations, murmura-t-elle.

Je vous demande pardon?

Rien! As-tu quelque chose à me demander maintenant que tu m'as dérangée?

Eh bien...

J'hésitai quelques secondes. J'aurais peut-être dû choisir un sujet de recherche avant de déranger cette vieille mégère. Instinctivement, j'eus envi de demander des livres sur la magie, mais je me rattrapai juste avant de dire une telle bêtise. Cette hésitation supplémentaire agaça particulièrement mon interlocutrice qui, se croisant les bras, laissa échapper un large soupire. Mon cerveau tournait à toute allure : qu'est-ce qui pourrait ressembler à la magie dans la réalité?

Mythologie comparée! dis-je enfin d'un seul trait

Cet épouvantail qui faisait office de bibliothécaire me réprimanda une seconde d'un regard sévère.

Donc, en une phrase complète, tu voudrais des livres sur la mythologie comparée, c'est bien ça?

J'hochai la tête, un peu gênée par mon manque de réparti.

Très bien, tu vois, les rangées, au fond près de l'entrée?

Oui?

Tu devrais pouvoir trouver ton bonheur sur les deux étagères du haut

Je m'éloignai sans même la remercier. Je savais très bien qu'elle n'avait pas voulu mal faire, mais j'étais restée plutôt agacée par le fait qu'elle m'ait demandé de retirer mon visage en croyant que ce n'était qu'un masque. C'est vrais qu'avec corne et fourrure, je ne devais plus avoir très humaine, mais ça restait plutôt impoli de sa part. Bien qu'il n'affecte qu'un ou deux pourcent de la population, le SHAGA n'était plus tout à fait un phénomène rare et des lois en protégeaient les victimes contre les actes de discrimination.

Je regardais les deux plus hautes tablettes sur lesquels étaient posés les livres que j'avais demandés. J'étirai le bras, mais, hélas, j'étais trop petite pour les atteindre. Je pensai un instant me mettre sur la pointe des pieds pour me rendre compte que je l'étais déjà. Autour de moi, rien ne me permettait de grimper jusqu'aux volumes que je désirais consulter. C'était ironique. Avant, j'aurais été suffisamment grand pour les atteindre, mais je n'en n'avais pas le moindre intérêt. Maintenant que je m'intéressais à la lecture, ma taille m'empêchait d'atteindre les livres dont j'avais de besoins.

L'idée ridicule de demander à Spike me traversa l'esprit une fraction de seconde, mais c'était bien évidemment inutile d'espérer l'aide d'un personnage fictif. Exaspérée à la fois par cette idée et par la maladie, je tentai de sauter pour atteindre un des livres qui m'intéressait. J'arrivai à y toucher, mais je n'arrivai pas à m'en saisir.

J'étais découragée. Peut-être était-ce mes règles ou le stress que je subissais depuis les derniers jours, mais j'avais l'impression de pouvoir exploser à tout moment. C'est à cet instant, alors que je dévisageais ce prétentieux bouquin qui semblait se moquer de moi du haut de sa tablette, que je ressentis une sensation de chaleur sur mon front. Une fraction de seconde plus tard, le livre tomba de son piédestal, passant à deux cheveux de m'assommer.

Perplexe, je ramassai le volume qui gisait maintenant par terre. Je regardai l'étagère supérieure à la recherche d'un autre livre qui pourrait correspondre à mes recherches et je tentai de reproduire l'expérience. Cette fois, le livre vibra bruyamment mais ne tomba pas. Je fronçai les sourcils et me concentrai sur le livre que je voulais. Il se remit à vibrer et, quelques secondes plus tard, ce sont cinq livres qui me tombèrent dessus.

Surprise, j'eu à peine le temps de m'écarter avant d'être assommée par ces précipitations inusitées.

Un chut sonore retenti dans la bibliothèque, mais je n'y portai pas la moindre attention. Des cas semblables avaient déjà été observés chez des patients atteints de SHAGA, mais c'était rarissime. J'étais à la fois incrédule et ravis de cette découverte. Je regardai les cinq volumes étalés autours de moi avant de reporter mon attention sur le plus petit : un album expliquant la mythologie grecque aux enfants. Je plissai les yeux et me concentrer sur l'idée de le voir léviter. Cette fois, ça me prit un peu plus de temps, mais je réussis, après quelques minutes, à en faire vibrer quelque page avant d'être distraite par un nouveau «Chut!". Hors de question de laisser tomber en si bonne voie. Je me mis à genoux, pris une grande respiration et dévisageai ce petit livre de toute mes forces.

Cette fois, ce fut un coup dans les côtes qui me fit perdre ma concentration. Avant même que je n'aie le temps de me retourner, je reçus un second livre en plein visage et je fus assaillie par une vive sensation de brûlure au niveau de ma corne.

Un livre s'envola à toute vitesse pour s'écraser bruyamment contre un mur à l'autre bout de la bibliothèque.

MAIS QU'EST-CE QUI SE PASSE ICI? Hurla la bibliothécaire avant de se diriger à grand pas vers la source du bruit.

Je me précipitai derrière elle, espérant récupérer les livres avant qu'elle ne les trouve elle-même, mais, un autre bouquin me devança.

Un cri suraigu brisa le silence de la bibliothèque. J'allais quitter la pièce quand je reçus un dictionnaire des symboles dans le dos, au niveau de l'omoplate droite. Je m'écroulai.

Alors que j'essayais de me relever, deux jambes couvertes de tissus fleuris se plantèrent devant moi. Je levai la tête pour voir la bibliothécaire qui, le visage sévère, tenait les deux livres que j'avais envoyé valser.

Vous vous pensez drôle?

C'est un accident!

Votre carte étudiante...

Je m'exécutai sans rouspéter d'avantage.

Elle regarda ma carte puis me dévisagea, incrédule.

C'est une blague?

J'ai le SHAGA, vieille sorcière!

Je me couvris la bouche à deux main, horrifiée par ce que je venais de dire. Au même moment, les traits de cette vieille harpie s'adoucirent, puis, après quelques secondes d'hésitation, elle se précipita sur moi pour m'aider à me relever.

Je suis désolée... Vraiment, j'ai cru que tu étais encore une de ces énergumènes qui font des initiations...

Des initiations, à la mi-octobre?

Jeune fille, des initiations, il y en a jusqu'à la fin décembre et elles reprennent dès janvier...

Vous pourriez quand même faire attention... Dis-je en ramassant les deux livres que je voulais emprunter. Est-ce que je peux emprunter.

Le visage de cette mégère s'étira en ce qui ressemblait à un sourire.

Si vous me promettez de ne plus lancer de livres...

Je n'ai rien lancé. Enfin pas volontairement, ajoutais-je en frottant mon épaule endolorie.

La bibliothécaire me lança un regard sévère.

Vous... Vous connaissez My Little Pony?

Peu impressionnée par ma tentative d'explication, elle m'invita à la suivre jusqu'à son bureau où elle jugea bon de me rappeler que ma carte étudiante devrait être refaite une fois mes mutations terminées.

Une fois de retour chez moi, je ne pouvais m'empêcher d'expérimenter mes nouvelles capacités. J'étais encore si malhabile que je finissais systématiquement par détruire ce que je tentais de manipuler, mais je m'améliorais tranquillement. J'aurais évidemment été incapable d'en faire autant que mon alter ego en faisait dans l'émission, mais c'était tout de même une que je m'empressai d'ajouter dans mon rapport.

Je terminai la soirée plongée dans les livres que j'avais empruntés à la bibliothèque. J'y fus d'ailleurs si absorbée que j'en oubliai complètement que je n'avais pas dormi la veille et que je subissais au même instant mes premières règles.

CHAPITRE 8

Retrouvailles

Mes oreilles, maintenant pointues me dévisageaient d'un drôle d'air de chaque côté de ma tête. Elles n'étaient pas tout à fait les même que la véritable Twilight aurait eu si elle avait été réelle, mais elle n'était décidément plus celles qu'on s'attendrait à voir chez une fille normale : plus longues, plus hautes sur mon crâne, elle gardait malgré tout un petite quelque chose d'humain.

Mon visage aussi avait changé. En plus de ma corne qui avait pris quelques centimètres depuis la veille, mon nez avait presque complètement disparu pour se fondre dans ce qui ressemblait vaguement à un museau. J'étais cependant heureuse de voir qu'à l'exception de mes pieds dont les sabots semblaient presque normaux pour un poney, mon corps n'avait pas changé depuis la veille. J'en étais vraisemblablement dans les dernières étapes de ma mutation et c'était une bonne chose : dès qu'elles seraient finies, je pourrai retrouver un semblant de vie normale. Enfin, presque normale.

Je notai mes dernières observations dans mon rapport avant de me remettre à ma lecture. Malgré l'épaisseur des deux volumes que j'avais empruntés la veille, je les avais terminés avant midi.

Sur le chemin de la bibliothèque, je ne pus m'empêcher de me demander s'il n'existerait pas des ouvrages de référence concernant les capacités psychiques des patients atteints de SHAGA. D'accord, le phénomène était particulièrement rare, mais il n'en demeurait pas moins fascinant... Particulièrement dans mon cas.

Malgré notre apparente réconciliation de la veille, la bibliothécaire qui, ce jour-là s'était vêtue d'une sorte de tapisserie verte à rayures blanche, avait repris ses airs les plus hautains. Comme si elle avait regretté cet instant de faiblesse et qu'elle avait décidé de reprendre son mauvais caractère en main.

J'eu à peine le temps d'ouvrir la bouche qu'elle me dévisageait d'un air si glacial qu'il aurait possiblement pu, à lui seul, inverser le réchauffement climatique.

Encore vous?

Oui, je ramène les...

Elle se précipita sur moi et m'arracha les livres des mains.

Merci me dit-elle du ton le plus sec de son répertoire. Ce sera tout?

Non, vous auriez quelque chose sur...

Je ne suis pas un ordinateur, vous savez, mademoiselle!

Je figeai sur place et elle pointa du doigt deux postes informatiques placés au fond de l'atrium.

Essayez un peu ça plutôt que me déranger à chaque jours!

Je réprimai une vague envie de l'envoyer promener et me dirigeai vers les postes informatique. Les mots clefs SHAGA et magie, une fois associés ne donnèrent rien. Je secouai la tête en me traitant d'idiote et remplaçai Magie par Télékinésie.

Cette fois, un seul résultat était disponible. Il se trouvait sans une sous-section des références médicales réservée aux livres sur le SHAGA en général. Je notai la référence et me dirigea vers le rayon indiqué par l'ordinateur où, plutôt que de retrouver la même solitude qui hantait le reste de la bibliothèque, je me trouvai en face de ce garçon qui m'avait dragué à la sortie du cours de Michel. Sans réfléchir une seule seconde, je continuai mon chemin pour me cacher dans une rangée adjacente jusqu'à ce que je sois certaine qu'il soit parti. Agacée, je me demandais ce qu'il pouvait bien faire dans le rayon des livres sur le SHAGA quand je me rappelai que nous étudions ce sujet dans le cours de Michel. L'agacement se teinta alors d'une certaine déception alors que je risquai un coup d'il dans le rayon voisin. Ce n'était pas parce qu'il s'intéressait à moi qu'il feuilletait ces livres, mais simplement parce qu'il faisait ses devoirs.

Je soupirai, la voix était libre. Alors que je m'avançai aussi silencieusement que mes sabots me le permettaient, une voix familière lança :

-Alex!

Je figeai. Ce nom ne voulait peut-être plus rien dire pour moi, mais une fois lancé dans une bibliothèque déserte, il était plutôt difficile de l'ignorer.

Je me retournai et il était là, un petit livre rouge à la main. J'esquissai un sourire mal à l'aise alors qu'il se rapprochait de moi.

Tu as beaucoup changé depuis lundi...

Tu trouves?

Il me dévisagea d'un air entendu. Il est vrai qu'avec mon nouveau visage et mon manteau de fourrure lavande, la différence devait être flagrante. Mal à l'aise, je me mis à la recherche du livre que j'étais venue chercher.

Écoutes, je sais ce que tu traverses?

Je pris une profonde respiration avant de me retourner vers lui.

Quand t'es-tu transformé en licorne pour la dernière fois?

Ce n'est pas...

Écoutes, ma vie est un peu compliquée en ce moment. Je suis désolée d'être un peu dure, mais pour l'instant, je préfère ne pas trop m'intéresser aux garçons, juste le temps de savoir où j'en suis moi-même...

Tu as terminé?

J'hochai la tête.

Premièrement, as-tu la moindre idée de qui je suis?

Je levai les yeux au ciel, exaspérée. S'il croyait me convaincre de l'écouter en jouant la vantardise, c'était raté. Je me retournai et, quelques secondes plus tard, je trouvai mon livre.

Non, je n'en n'ai pas la moindre idée, dis-je finalement d'un ton désintéressé alors que je feuilletais le bouquin.

En ce moment, à peu près tout le monde m'appelle Julien, mais...

Alors Julien, tranchai-je en refermant mon livre, si tu veux bien m'excuser, j'ai de la lecture à faire!

J'étais presque sortie du rayon quand il tenta finalement le tout pour le tout...

Tu avais l'air plus intéressé à moi quand nous révisions la semaine dernière...

Je laissai tomber mon livre et me retournai, bouche bée.

Ju... Julie?

Surprise, dit-il d'un air humble

Du fond de son pupitre, la bibliothécaire lança un "CHUT"! sonore.

Alors, c'est toi l'autre cas de...

Il hocha la tête.

J'ai voulu te le dire, mais quand je t'ai appelé j'ai cru m'être trompé de numéro...

Je venais tout juste de découvrir que je devenais Twilight...

Je baissai la tête.

Désolée d'avoir été aussi bête avec toi... Mes sentiments sont un peu confus en ce moment...

C'est pareil pour moi.

Nous étions seuls dans la cafétéria. J'avais proposé à Julien de lui payer un café, mais il avait jugé que ce ne serait pas vraiment "gentleman" de sa part s'il acceptait et, finalement, c'est lui qui avait fini par me payer un repas complet.

Si tu savais à quel point j'ai eu peur de te perdre Alex...

Twilight, le corrigeai-je

Twilight, désolé... Je vais m'habituer... Quand j'ai compris ce qui m'arrivait... Disons que je ne pensais pas pouvoir reprendre nos soirées de révision là où nous les avions laissées...

Ces soirées, tu sais... C'était plus un prétexte pour être avec toi...

Je le savais depuis longtemps. Tu n'étais pas particulièrement subtile comme garçon!

Je sais! Je n'arrive pas à croire à quel point je pouvais être... Être...

Neandertal, prétentieux, égoïste...

Entre autre choses...

J'allais dire obsédé, mais je trouvais que les autres qualificatifs suggérés par Julien étaient probablement tout aussi descriptif de la personnalité d'Alex.

Mais tu semblais si convaincu d'être le roi des stratèges... Ton côté naïf compensait amplement!

J'ai beaucoup changé, tu sais...

Mais il reste quelque chose d'Alex en toi...

Quoi donc? Lançais-je, surprise et faignant d'être insultée...

Eh bien, tu es toujours première de classe...

Ce n'est pas faux, roucoulais-je.

Tu n'es peut-être pas prétentieuse, mais ton côté un peu naïf reste bien vivant...

C'est le personnage du dessin animé qui est comme ça...

Ce n'est pas grave... Il y a toujours des choses que le SHAGA ne peut pas changer, tu sais?

Il se rapprocha de moi.

Comme quoi?

Eh bien... Le fait que j'aime bien...

Tu aimes bien?

Je m'approchai de lui à mon tour.

Que j'aime bien être avec toi... Twilight Sparkle!

Je fermai les yeux et me laissai embrasser par Julien. C'était ironique tout de même. J'avais finalement atteint le but qu'Alex s'était fixé. Pas exactement de la façon à laquelle il s'attendait, mais ça restait un retournement de situation plutôt...

Intéressant!

Intéressant, c'est tout ce que tu trouves à dire? Rétorqua Julien, amusé.

Désolée, je pensais tout haut!

Julien s'était endormi à côté de moi, dans mon lit. Comme il était encore tôt et que je ne voulais pas le réveiller, j'enfilai une épaisse paire de bas par-dessus mes sabots. Sans faire de bruit, je m'installai dans la cuisine pour lire le livre que j'avais rapporté de la bibliothèque la veille. Je voulais profiter de la solitude que m'apporterait cette nuit mourante pour voir si je pourrais trouver un moyen d'améliorer mes pouvoirs.

Après une demi-heure de lecture attentive, je me rendis bien compte que les données disponibles sur le sujet des capacités télékinésiques des patients atteints de SHAGA étaient plutôt limitées : selon l'auteur, elles étaient observées quand "un patient subissait une mutation traumatique influencée par un personnage fictionnel possédant certaines capacités s'apparentant à la magie". En bref, ceux qui avaient subi le même genre de transformations que moi. Il était aussi indiqué que de telles "anomalies" étaient accompagnés de changement de personnalité extrêmes et que ces mutations étaient particulièrement rares avec une prévalence de 0,02% des cas recensés.

Découragée, je fis un geste de la tête et le livre se referma devant moi.

  • Commet tu as fait ça? Demanda une voix toute ensommeillée derrière moi.

Je relevai la tête. Julien était là, dans l'embrasure de la porte de la cuisine, les cheveux en batailles.

Je suis une licorne plutôt douée dans un certain dessin animé, dis-je toute souriante. Je t'ai réveillé?

Non...

Tu mens très mal!

Il s'approcha, déposa un baiser sur ma joue avant de s'assoir devant moi.

Je sais! Qu'est-ce que tu lisais?

Un livre sur le SHAGA... Pas très instructif pour être honnête...

Tu as terminé le devoir pour le cours de chimie?

Le devoir? rétorquais-je, paniquée.

Sur les allogènes...

Je l'interrogeai du regard.

Il fallait faire une rédaction expliquant la réactivité des allogènes!

quand est-ce que la prof a demandé ça?

La semaine dernière.

J'étais absente la semaine dernière...

Comme la moitié du groupe, mais tu connais la Gignac... La salle de classe pourrait être entièrement vide qu'elle donnerait son cours quand même.

Merde, j'ai rien fait!

Twilight, calmes toi un peu... Je suis sûr que, compte tenu de ta situation, tu auras un délai supplémentaire...

Je lançai un regard entendu à Julien : il savait très bien que la professeur Gignac était la chose qui s'éloignait le plus de la définition du mot conciliante. À l'image de son visage maigre et sec, son caractère était aussi corrosif que les allogènes qu'elle tentait de nous enseigner.

D'accord, peut-être pas, ajouta finalement Julien

Je recommençai à paniquer.

Pourquoi tu t'en fais autant, c'est seulement cinq pour cent de la note finale...

Ce n'est pas une raison... Elle veut combien de pages?

Deux...

Je jetai un coup d'il au micro-ondes. Il n'était que six heures trente. Avec un peu de chance, j'aurais suffisamment de temps pour terminer ce devoir avant le début du cours.

CHAPITRE 9

Rainbow Dash?

Mes coups de sabots retentissaient dans les couloirs du CÉGEP. J'avais à peine eu le temps de prendre ma douche et de remplir mon rapport quotidien avant de partir aux pas de courses pour la classe de chimie. Je n'avais pratiquement pas changé par rapport aux données de la veille. Mes oreilles étaient maintenant au sommet de mon crâne et mon museau s'était un peu élargi, mais pour ce qui est du reste, je semblais stabilisée. Bien que normalement, j'aurais eu accueillit cette nouvelle avec enthousiasme, la peur d'arriver en retard à mon cours me força à repousser mes réjouissances à plus tard.

Essoufflée, j'entrai catastrophe dans la classe, attirant l'attention de la professeure Gignac qui, assise derrière son bureau, était sur le point de commencer le cours.

Gênée, je m'avançai lentement vers le pupitre libre que Julien m'avait réservé.

C'est gentil de vous joindre à nous, Alexandre, grinça-t-elle.

C'est Twilight, maintenant, professeure.

On m'en a glissé un mot, mais ma liste indique le contraire, jeune homme!

Je n'ajoutai rien et me cachai derrière mon livre de chimie.

Ne t'inquiète pas, ajouta Julien. Moi aussi, elle m'appelle toujours Julie!

Peut-être, mais dans mon cas, elle pourrait m'appeler Rodrigue et je me sentirais aussi interpelée.

QUELQUE CHOSE NE VOUS PLAÎT PAS, ALEXANDRE?

Non professeure!

Bien, parce que j'allais justement demander de ramasser les devoirs de vos camarades. Cela suffira peut-être à vous clouer le bec!

Je m'exécutai, bouillonnante de colère. Je savais que cette vieille sorcière était insupportable, mais elle semblait encore pire qu'à l'habitude. Alors que je déposais les feuilles sur son bureau, elle m'interpella de son même air hautain.

La prochaine fois, que vous penserez spirituel d'inscrire le nom d'un personnage fictif sur votre travail, je vous recale... Et essayez de faire un peu moins de bruit en marchant on croirait...

Elle n'eut pas le temps de terminer sa phrase qu'une étudiante se leva à l'arrière de la classe.

Twilight à le SHAGA, ce n'est pas un caprice si elle a changé son nom! Ça fait partit de sa...

Elle pourrait s'appeler Passe-Partout que ça ne changerait rien au fait que ma liste de présence n'indique aucune Twilight Sparkle.

En plus, estimez-vous un peu heureuse qu'elle soit venue! La moitié de la classe est encore en traitement préventive. Une maladie grave est encore une raison acceptable de rater un cours...

UN cours oui... ALEXANDRE a raté un cours la semaine dernière, le compte est bon. Est-ce que je peux commencer mon cours où est-ce que vous espérez que je vous expulse définitivement de ma classe?

Rien à ajouter, votre horreur! Roucoula-t-elle, en s'asseyant. Je crois avoir gagné mon point!

Madame Gignac fulminait à l'avant de la classe. De toute évidence, elle aurait voulût donner une bonne correction à cette fille, mais se reteint.

Je lançai un rapide coup d'il à celle qui m'avait défendue. Tout ce que je savais d'elle, c'est qu'elle se nommait Raphaëlle Daoust. Malgré sa chevelure multicolore et ses vêtements déchirés qui lui donnaient un air rebelle, c'était la première fois que je voyais cette fille tenir tête à un professeur. En fait, pour le peu que j'en savais, elle était d'un naturel plutôt réservé : elle ne parlait presque jamais à personne et je ne l'avais jamais même croisée à l'extérieur de mes cours.

Je tapais sur l'épaule de Julien pour lui indiquer un mot griffonné dans la marge de mon cahier.

"Tu la connais?" avais-je écrit.

Il fit non de la tête puis gribouilla sur une feuille mobile.

Je me penchai vers lui.

"Non... Mes amies la trouvent bizarre... Avec ce qu'elle a dit, je commence à la trouver plutôt sympathique! Lol!"

Une main squelettique arracha la feuille du cahier de Julien.

Dernier avertissement, vous deux! Prochain écart, je vous mets un zéro pointé comme note finale.

J'allais indiquer que le règlement du CÉGEP ne lui permettait pas de recaler des élèves de cette façon, mais Julien me fit signe de me taire.

Résignée, je me retournai et pointai mes oreilles vers l'avant de la classe et fis mine de m'intéresser à la matière.

Quand la pause arriva finalement, je me dirigeai vers l'arrière de la classe et m'assis au pupitre situé juste à gauche de celui de Raphaëlle.

Merci de...

C'est rien! Ricana-t-elle sans même détourner le regard de l'enseignante. Il fallait bien que quelqu'un remette cette VIEILLE SORCIÈRE à sa place!

La professeure Gignac leva la tête de ses notes et nous lança un regard si glacial que, même au fin fond de la salle de cours, j'en frissonnai. Raphaëlle, de son côté, se contenta de rire haut et fort!

Elle se croît bien importante, mais un mot au syndicat et la prof pourra prendre son balais et rentrer chez elle! Définitivement.

Elle se retourna alors vers moi d'un geste si rapide que j'en sursautai.

Alors, "Alexandre" me dit-elle en imitant la voix de notre enseignante. Si je t'invitais à prendre un verre après le cours?

Je...

Mal à l'aise, je lançai un rapide coup d'il à Julien qui, absorbé dans ses notes, ne me remarqua même pas.

Je... C'est un rancard?

Si tu veux...

Je ne pense pas que mon petit ami...

Oh... J'ignorais tu étais ce genre de garçon...

C'est compliqué. Alex aurait probablement été ravi... Mais maintenant, disons juste que...

Que les filles, c'est plus trop ton truc!

C'est vrai que dit comme ça...

Bah, c'est ça, le SHAGA! Je pourrai au moins me vanter que j'ai fait des avances à Twilight Sparkle! Je serais pas une vrai fan de M. L. P. si j'avais pas tenté le coup!

Tes cheveux, ça ne serait pas...

Elle s'enfonça dans sa chaise, les bras croisés derrière sa tête.

Rainsbow Dash... Yep! Ma préférée!

Et ton nom, c'est fait exprès?

Plus ou moins... Disons juste que c'est pour ça que c'est elle que je préfère!

À l'heure du dîner, nous nous retrouvâmes Julien, Raphaëlle et moi, à la cafétéria, riant de cette pauvre professeure Gignac.

Je suis certaine qu'elle est SHAGAÏSTE, lança Raphaëlle la bouche à moitié pleine de spaghettis.

SHAGAÏSTE?

Raciste envers les victimes de SHAGA, renchérit Julien. Mon père a toujours du mal à me "pardonner" ma maladie...

C'est complètement stupide!

Je sais... Bah, il va finir par s'y faire. Encore heureux qu'il ne m'ait pas mis à la porte... Toi, tes parents, comment ils prennent ça?

Je figeai. Je n'avais même pas pensé à appeler papa et maman pour leur apprendre ce qui m'arrivait.

Je ne leur ai pas tout à fait dit...

Raphaëlle manqua de s'étouffer tandis que Julien me regarda d'un air grave.

Quoi? J'avais autre chose à penser... Mes études et... Et... Et merde, je me suis transformée en licorne, il y a de quoi être distraite.

Tu penses leur dire comment, maintenant?

Un télégramme chanté, ça serait pas mal, ricana Raphaëlle.

Julien lui lança un regard grave puis, elle reprit son calme.

Je n'y ai jamais pensé, à vrai dire... Toi, tu leur as dit comment?

Au début, je leur ai caché, mais, disons que le jour où je me suis réveillé avec dix centimètres de plus, papa a un peu deviné...

Ce n'est qu'à cet instant, je remarquai que Julien avait les yeux remplis de larmes.

Si maman n'avait pas été là, je crois qu'il m'aurait mis à la porte.

Raphaëlle posa sa main sur l'épaule de Julien.

Et maintenant, comment il prend ça? Demanda-t-elle.

C'est difficile, mais il apprend à l'accepter. J'espère vraiment que ça sera plus facile pour toi, Twilight.

Ce jour-là, je n'assistai pas au cours de français. Je me sentais si misérable que je suis rentré directement chez moi, espérant rassembler suffisamment de courage pour donner un signe de vie à ma famille. J'étais assise sur mon lit, enlaçant le téléphone et enlacée par Julien. J'étais terrifiée. Terrifiée à l'idée de tout ce qui pouvait se passer. Allaient-ils me renier? Allaient-ils seulement me croire?

Tu vas devoir leur dire un jour ou l'autre...

Je sais...

Je pris une grande respiration et composai le numéro de mes parents et j'attendis. Alors que mon cur se débattait pour sortir prendre l'air, je comptai les sonneries : un coup... deux coups...

J'étais sur le point de raccrocher quand, quelqu'un décrocha.

Allô?

C'était ma mère.

Allô? Insista-t-elle.

Bonjour, répondis-je finalement pour retomber dans mon mutisme.

Allô! Qui est à l'appareil? Allô...

Je... J'appelle pour... Pour vous annoncer que... Votre fils a...

Alex? Qu'est-ce qui lui est arrivé?

J'ai...

Je pris une profonde respiration et, d'un seul sanglot, je lui lançai : "Maman, j'ai eu le SHAGA".

Je vous demande pardon? S'étrangla-t-elle, en réprimant un sanglot.

Maman, c'est moi... J'ai eu le SHAGA...

A... Alexandre?

Elle marqua une pause avant d'éclater en pleurs. Elle marmonna le nom d'Alexandre entrecoupé de cris et de sanglots à travers lesquels je n'arrivai je mis plus de cinq minutes à pouvoir placer un seul mot.

Maman...

Elle se maîtrisa finalement.

Oui, mon trésor...

Est-ce que tu peux m'appeler Twilight, maintenant?

Elle réprima un autre sanglot et fit mine de rire.

Tout ce que tu veux, Alex... Twilight! Est... Est-ce que tu... De quoi tu as l'air?

Euh... Premièrement, tu as une fille... Mais elle ne te ressemble pas du tout.

Je mis près d'une heure à lui expliquer tout ce qui m'est arrivé, de comment j'avais découvert que j'avais contracté le SHAGA jusqu'à ma rencontre avec Julien. Un silence de mort régnait à l'autre bout du fil, périodiquement entrecoupé de sanglots étouffés.

Ce n'est qu'une fois mes interminables descriptions terminées qu'elle reprit finalement la parole.

Est-ce que tu as de besoins de quelque chose? Et il faudra que je t'explique certaines...

Maman... Je sais!

CHAPITRE 10

Rémission

Ça faisait maintenant quatre jours que je n'avais subi aucune mutation. Cela signifiait que j'étais officiellement débarrassée du SHAGA. Mes parents étaient passés me voir au cours de la fin de semaine, accompagnés d'un appareil photo. Ils voulaient mettre à jour l'album de famille et avoir quelque chose à afficher sur leur mur. Bien que mon père fût particulièrement mal à l'aise au départ, il finit par s'habituer au fait d'avoir une licorne comme fille. Prétendre qu'il en était ravis aurait été fortement exagéré, mais en comparaison avec Julien, cette description n'était pas si éloignée de la réalité.

Étant finalement guérie, je décidai d'en profiter pour récupérer mon travail à l'entrepôt. Le trajet me demanda un effort supplémentaire puisque c'était la première fois que je conduisais avec mes sabots. Ceux-ci n'étant pas tout à fait adaptés à la conduite automobile, j'éprouvai quelques difficulté, notamment quand venait le temps de freiner. J'étais sur le point de faire demi-tour quand je me rappelai que, si j'arrivais à tourner les pages d'un livre grâce à ma corne, rien ne m'empêchait de l'utiliser pour atteindre les pédales. Au départ, ça me demanda une certaine concentration pour ne pas utiliser mes sabots, mais après quelques minutes, je ne pouvais même plus m'imaginer qu'il était possible de faire autrement.

Robert fut plutôt surpris de me voir. En fait, il serait probablement plus juste de dire qu'il fut surpris de voir une licorne entrer dans l'entrepôt. Ce n'est qu'une fois que je lui ai dit mon nom (ou plutôt le nom d'Alex) qu'il comprit ce que je faisais là. Dubitatif au début, le fait que je sois capable de faire descendre les caisses des plus hautes étagères d'un seul coup de corne finit de le convaincre de me redonner mon ancien poste malgré ma force grandement diminuée. Je passai donc le reste de la matinée à jouer les chariots élévateurs, histoire d'épater mes collègues et leur montrer que sous mes airs de petite pouliche, je méritais toujours mon emploi.

Ce n'est qu'à la fin de mon quart de travail que je remarquai l'absence de Jean-François. Loin d'être inquiète pour lui, j'espérais presqu'il ait été congédié après tout ce qui m'est arrivé. J'étais sur le point de partir pour mon cours quand Robert me pris à part.

Qu'est-ce qui se passe, lui demandais-je une fois la porte de son bureau fermé.

Deux choses... Tu veux t'assoir?

Je fis non de la tête. J'étais bien trop nerveuse pour m'assoir. Robert ne m'avait jamais fait venir dans son bureau. Sur le coup, j'étais certaine qu'il m'annoncerait que j'étais mise à la porte pour je ne sais trop quelle raison : un poney dans un entrepôt étant seulement l'une d'entre elles.

Devant mon refus, il se lassa sombrer dans son grand fauteuil de cuir et prit une grande respiration.

Désolé de te retenir, je sais que tu as un cours le lundi, mais avec ce qui t'est arrivé, je me suis dit qu'il serait simplement juste que tu sois mise au courant de certaines choses...

Je suis renvoyée? Dis-je, paniquée.

Quoi? Non! En fait, c'est de Jean-François dont je veux te parler...

Ah, échappai-je d'un ton un peu plus ferme que je ne l'aurais voulu.

Je m'assis dans la chaise en face du bureau de mon superviseur et celui-ci poursuivit.

Je sais que c'est lui qui t'a enfermé dans le container. Je sais que tu sais que c'est lui qui t'a fait le coup... Mais, nous n'avons aucune preuve. J'ai demandé à ce qu'il soit renvoyé, mais ça a été refusé...

Je comprends, ce n'est pas...

CEPENDANT... deux jours après ton départ, il nous a appelés pour nous dire qu'il avait contracté une certaine maladie...

Il a...

La même chose que toi... Peut-être pas aussi extrême, mais tout de même...

En quoi est-ce...

Pour faire court, un nain...

Il ria de son calembour jusqu'à ce qu'il s'aperçoive que je n'y trouvais rien de drôle. Il avait beau m'avoir fait de sals coups, il n'en demeurait pas moins que je n'aurais souhaité pas le SHAGA même à mon pire ennemi.

Il reprit son sérieux.

Enfin bon, longue histoire courte (il laissa échapper un gloussement), il a démissionné ce matin.

C'est noté. Je peux aller à mon cours?

Tu peux t'en aller.

J'étais légèrement mal à l'aise de la discussion que je venais d'avoir. Robert semblait dire que c'était bien fait pour Jean-François s'il avait attrapé le SHAGA. D'accord, d'une certaine manière, c'était sa mauvaise blague qui m'avait transformé en Twilight, mais, d'un autre côté, ma situation aurait pu être pire : j'avais un petit ami, mes notes avaient augmentées et, en plus, j'avais rencontré Raphaëlle ainsi que Florence. Cette pensée me fit d'ailleurs penser qu'il me faudrait m'acheter un nouveau stock de soutien-gorge. Dans les trois que j'avais acheté la dernière fois, deux étaient trop grand et je commençais à en avoir assez de laver le troisième à chaque jours. Heureusement, Julien m'avait donné la totalité des vêtements féminins qu'il ne portait plus. Bien que, côté poitrine, la nature avait originalement été plus généreuse avec lui que le SHAGA ne l'avait été avec moi, j'avais tout de même hérité d'une bonne centaine de blouses, pull et autres vêtements.

Je jetai un il à mon auto radio. Il me restait tout juste assez de temps pour me débarrasser de cette course avant mon cours.

Bien qu'elle m´ait reconnu immédiatement, Florence ne put cacher sa surprise en voyant à quel point j'avais changé.

Tu... Tu as changé dit-elle enfin après avoir hésité une bonne minute.

Tu trouves, répondis-je en croisant mes bras amusée.

Si ça n'avait pas été du nom que tu m'as donné la dernière fois, je ne t'aurais pas reconnu! Alors, qu'est-ce que je peux faire pour toi aujourd'hui?

Pas grand-chose! Comme je suis enfin stabilisée, je voudrais simplement renouveler mon stock de soutien-gorge...

Tu connais ta taille?

32 B!

Alors qu'elle m'indiquait où trouver mes sous-vêtements par moi-même, mon regard fut attiré par une paire de jeans arborant, au niveau des cuisses, la marque de beauté qu'avait mon personnage dans l'émission. Je ne pus m'empêcher d'éprouver une certaine honte à l'idée que, dans la réalité, la mienne n'était toujours pas apparue. Je savais très bien que je devais être la seule personne au monde à m'inquiéter pour ce genre de chose, mais cette marque faisait partie de mon identité et, sans elle, j'avais l'impression de n'être rien.

Qu'est-ce que tu as fait à tes pantalons?

Cette remarque me ramena à la réalité.

Eh?

Tu les as troués!

Oh, ça? Je devais bien faire quelque chose pour ma queue! Tu aimes?

Non, c'est horrible, ricana Florence.

Je baissai la tête, comme si je me faisais gronder.

Allons, ce n'est pas si grave! À l'avenir, vas à l'école de mode de Marie-Victorin, on a un service de retouche gratuit pour les victimes de SHAGA...

Tu étudies là-bas?

Oui, je suis en deuxième année, pourquoi?

Première session de science nature!

Eh bien, on dirait qu'on se verra plus souvent! Passes me voir un soir cette semaine. Juste à suivre les indications dans le pavillon de mode.

Au cours de Michel, je n'arrivais pas à me concentrer. Et si ma marque de beauté n'apparaissait jamais? Nous étions dans la réalité après tout et, de ce que je sache, les gens ne voyaient pas leur talents se matérialiser sur leur flanc.

Julien, qui s'était assis à côté de moi, remarqua mon manque d'attention et, à la première occasion, me glissa un bout de papier sur lequel on pouvait lire : "Qu'est-ce qui ne va pas?"

Juste des problèmes de filles, lui mentis-je à voix basse.

Je craignais qu'il ne me croie folle si je lui disais que je m'inquiétais pour une marque de beauté qui, dans ce monde, ne voulait rien dire.

Le cours d'activité physique se déroula sans trop de problèmes bien que je dus y aller mollo sur la levée de poids. Mon professeur, de son côté se montra rassurant. Selon lui, je restais très en forme pour une fille et, en plus, j'étais maintenant la plus rapide de l'école à la course à pied. Le garçon qui avait terminé deuxième grommela de son côté.

C'est normal qu'elle soit rapide, merde, c'est un cheval!

Je t'ai entendu Lahaie! Fais-moi donc une cinquantaine de push-up, tu vas peut-être t'améliorer aux altères...

Écoutes, Alex...

Malgré son erreur, je ne le corrigeai pas. La dernière journée m'avait laissé une sensation douce-amère que j'avais toujours du mal à digérer.

Je ne te dirai pas que tu l'as eu facile... Mais je te jure que tes statistiques sont plus que bonnes.

Merci répondis-je boudeuse.

Allez, rentres chez toi et ne penses plus à ça! Je suis certain que tout ira bien. Tu as toujours été brillant et, de ce qu'on m'a dit, Tu n'as rien perdu de ce côté-là.

Ce soir-là, quand je suis rentrée, Julien m'attendais dans la cuisine. Il avait profité de mon cours d'activité physique pour improviser un souper avec ce qu'il me restait dans mon réfrigérateur. À voir ses yeux rougis par les larmes, je savais qu'il avait pleuré. Malgré tout, il ne laissa rien paraitre. Alors que les chaudrons continuaient à ronronner sur la cuisinière, je m'assis à la table.

Qu'est-ce qui s'est passé?

Euh... Rien...

Il détourna le regard, espérant probablement que je n'insiste pas.

Dis-moi ce qui se passe... Tes yeux sont tous rouges...

Il hésita quelques se ondes et soupira.

Mon père est un total abruti...

Il veut encore te foutre à la porte?

Non. Il a seulement décidé que le mot "ça" me désignait mieux que mon prénom...

Quel con!

Julien laissa un sanglot qu'il ressaisit aussitôt.

Quand il m'a vu pleurer, il m'a fait comprendre qu'il n'appréciait pas vraiment de me voir pleurer comme une fille. Tu crois que je peux rester chez toi cette nuit?

Si ça me dérangeais, je ne t'aurais pas donné une clef!

Je me forçai à sourire pour le rassurer. En comparaison, mes problèmes semblaient si dérisoires que je ne voulais pas l'affliger de mes états d'âmes.

J'étais sur le point de me lever, histoire de voir ce qui mijotait quand Julien prit une profonde respiration.

Maintenant, à ton tour Twilight!

Qu'est-ce que tu veux dire?

J'ai été une fille pendant presque dix-neuf ans. Crois-tu vraiment que j'ai avalé ton histoire de problèmes féminins?

Et si je parle de problèmes de poney, ça te satisfait d'avantage, riais-je.

Il me dévisagea d'un air sérieux.

Écoutes, ce n'est rien...

Twilight... Si ça te rend triste, ce n'est pas rien...

Tu vas me prendre pour une folle...

En comparaison avec mon père, je crois que même la femme aux chats des Simpsons a l'air saine d'esprit...

T'exagère...

Ne changes pas de sujet...

C'est juste que j'ai réalisé que je n'ai toujours pas ma marque de beauté!

Ta... Quoi?

Un petit symbole que les poneys ont sur leur flanc et qui représente leur talent particulier...

Tu es la première à dire que tu ne sais plus où tu en es depuis...

Ça n'a rien à voir, je suis Twilight... Je devrais avoir la même marque qu'elle...

Et si ce n'était pas le cas?

Qu'est-ce que tu ceux dire?

Dans l'émission, Twilight n'étudie pas les sciences nature... Je crois qu'il faut simplement que tu trouves ta propre voie

Et si elle n'apparait jamais?

Alors, ça prouveras que tu es unique et que tu n'as pas besoins d'une émission pour enfant pour te dire quoi faire... Ça va mieux?

un peu...

Je me levai finalement et m'approchai de la cuisinière.

Qu'est-ce que tu prépares, demandai-je en soulevant le couvercle d'une grosse marmite.

Julien n'eut même pas le temps de me répondre qu'une odeur de choux bouilli et de viande défraîchit me monta jusqu'aux naseaux. Sans réfléchir, je recouvris la mixture.

Et puis? Demanda Julien.

Euh... Ça semble... Bien...

Horrible, n'est-ce pas?

Le terme auquel je pensais était contaminé, mais horrible, c'est bien aussi... Tu crois qu'on pourrait faire venir une pizza?

CHAPITRE 11

Confrontation et rapprochement

Les jours suivants, Julien ne rentra pour ainsi dire pas chez lui. Sa relation avec son père, loin de s'améliorer, semblait, au contraire, s'envenimer de jour en jour. Ce dernier semblait fermement décidé à lui reprocher chacune de ses actions. J'étais d'ailleurs devenu son sujet de discorde favori : quand ses parents ont insisté pour savoir où il passait tout son temps, il répondit qu'il était avec sa petite amie. Il n'en fallait pas plus pour qu'il ne traite Julien de lesbienne manquée et qu'il ne lui raccroche au nez.

Lesbienne manquée ricana Raphaëlle avec qui nous avions pris l'habitude de déjeuner à la cafétéria.

Ce n'est pas drôle bouda Julien en croisant les bras.

Je me rapprochai de lui.

Avoues quand-même que tu n'as pas tout à fait la tête de l'emploi!

Je sais que c'est ridicule, mais il veut seulement me faire du mal pour que je quitte définitivement la maison.

Laisses-le parler.

J'essaie...

Il détourna le regard. Je savais que toutes ces histoires lui faisaient encore plus mal qu'il ne le laissait paraitre. La veille, je l'avais encore entendu pleurer dans les toilettes une bonne partie de la nuit. Il croyait probablement que j'avais suffisamment de problèmes comme ça et qu'il ne serait pas très intentionné de sa part de m'inquiéter d'avantage avec ses états d'âme.

Et si on allait lui parler tous ensemble?

Il se retourna vers moi, le regard certes d'une peur cristalline.

Mauvaise idée...

Et pourquoi donc?

Il ne sait pas que tu as eu le SHAGA...

Et après.

Ce que Julien essaie de te dire, miss tête en l'air, c'est que s'il apprend que son fils sort avec une licorne, il y a des bonne chance qu'il comprenne que sa future belle fille a déjà eu une certaine maladie et qu'il en fasse une syncope!

Plus qu'une syncope. Avec moi, il peut toujours nier que j'ai eu le SHAGA, que je suis un cousin éloigné ou un truc du genre... Mais s'il me voit avec toi, j'ai peur qu'il me renie illico!

Et ta mère, elle dit quoi de tout ça?

Elle essaie de me défendre, mais ce n'est pas super efficace...

Et tes frères? ajoutais-je.

Ils n'habitent plus chez mes parents. Je ne pense pas qu'on puisse vraiment m'aider...

Et c'est pour ça qu'il y a un groupe de soutien!

Je sursautai. Michel avait réussi, Dieu sait comment, à faufiler son imposante silhouette jusqu'à nous sans même que. Nous le remarquions.

Bonjour, professeur, lançais-je joyeusement dès que j'aie eu récupéré mes esprits.

Bonjour Twilight... Julien, tu ne veux toujours pas te joindre à nous?

Non merci... Si mon père apprends que...

Qu'est-ce qu'il te ferait? Ça ne pourrait pas être pire que ce que tu vis depuis les dernières semaines...

Raphaëlle a raison, insistais-je. En plus, comment il pourrait le savoir? Tu n'es pas retourné chez toi depuis trois jours...

J'en sais trop rien, Twilight... Ce n'est pas comme si j'avais subit une mutation rare ou qui m'handicape...

La gravité de la mutation n'a rien à voir, corrigea Michel. Dans ton cas, je t'avouerais que j'ai un peu peur pour toi depuis que j'ai lu le journal...

Le... Le journal? hésita Julien.

Michel blêmit.

Vous ne savez pas?

J'échangeai un regard avec Julien et Raphaëlle.

Qu'est-ce que nous devrions savoir, professeur?

Il resta figé une seconde puis fouilla dans son sac pour en sortir le journal de Montréal.

Et puis merde, vaut mieux que je te le dise moi-même, maintenant...

Il ouvrit le quotidien et le laissa tomber au milieu de la table.

Désolé, renchérit Michel, je suis un peu hors de moi... Une telle connerie... Il y a de s'inquiéter...

Julien ramassa le journal et je me rapprochai de lui pour lire par-dessus son épaule : c'était la rubrique nécrologique. Au milieu de la page indiquée par Michel figurait la photo de Julie accompagnée d'un court paragraphe.

"Morte subitement d'une maladie inconnue, Julie Beauchamps laisse dans le deuil sa mère, son père et ses trois frères..."

  • No way, lança Raphaëlle, bouche bée.

Julien écrasa une larme sur sa joue alors qu'il rendait son journal à Michel.

J'aimerais dire que je suis surpris, mais ça fait une semaine que mon père parle de cette idée... Il avait peur que les voisins demandent ce qui est arrivé à sa fille et... (Il laissa échapper un sanglot qu'il tenta de maquiller en un léger rictus). Quand aura lieu le groupe de soutien, finalement?

Viens au CH022 ce soir, disons vers dix-neuf heures. On verra déjà ce qu'on peut faire!

Le soir venu, j'accompagnai Julien qui, toujours hésitant, mit cinq bonnes minutes avant de décider de frapper à la porte du local. Alourdie par la nervosité, sa main broyait la mienne tandis que la porte s'ouvrait lentement sur Michel qui nous accueillit de son plus radieux sourire. Derrière lui, Patricia semblait concentrée sur des devoirs de dernière minute.

Excusez le comité réduit, mais les rencontre improvisée n'attirent jamais des masses...

Comme pour faire mentir l'enseignant, trois coups retentirent. Avant même qu'il n'ait le temps d'ouvrir la porte, un jeune homme roux plutôt grand fit irruption dans la pièce. Portant un veston vert défraichi et des pantalons à rayures rouges et bleu, il s'avança tout sourire dans la pièce.

Excusez mon retard, je ne savais pas quoi me mettre...

Vraiment? demanda Patricia en croisant ses deux paires de bras devant elle.

Vraiment! D'ailleurs, mon frère avait le même dilemme : pois ou rayures....

L'un comme l'autre devrait vous mériter la prison à l'un comme à l'autre!

Au même instant, un second garçon tout aussi roux que le premier fit irruption dans la pièce portant le même ensemble de mauvais goût. Celui-ci était une copie carbone du premier à la tache de rousseur près. En voyant le premier exemplaire de ce veston, il dévisagea un instant son prédécesseur puis sourit de toutes ses dents.

Chouette ensemble, frangin!

Merci, j'ai eu un bon professeur!

Voici Jason et François, commenta Patricia. Ils sont...

De vraies cartes de mode! Compléta le premier des deux à être entré.

J'allais dire que vous étiez des faux jumeaux, mais...

Oh oui, c'est une drôle d'histoire trancha le second. Un matin, je me suis réveillé incontestablement roux. Ma sur...

C'était moi! Lança le deuxième.

Ma sur, France, en fut si émerveillée qu'elle ne put s'empêcher de m'imiter!

Bon, je n'ai pas vraiment eu le choix, un certain virus a décidé de me transmettre ton ADN!

Tu en conviendras, cependant que ce fut une nette amélioration!

indubitablement!

Julien me lança un regard à la foi amusé et médusé.

Rassurez-vous, ils ne sont pas toujours comme ça, commenta Michel.

En fait compléta Patricia, ces deux clown ont décidé que si quelqu'un se transformait en Twilight Sparkle, ils pouvaient bien faire semblant d'être Fred et George Weasley!

Les deux garçons échangèrent un regard enthousiaste et sortirent leur carte étudiante respective sur lesquelles le nom Boisvert avait été rayé au feutre indélébile et sur lequel on pouvait lire la mention manuscrite "Weasley".

Et ce fut excessivement libérateur!

Si vous avez terminé de raconter votre vie, je voudrais que nous nous penchions sur un cas un peu plus sérieux que le vôtre!

Les deux frères se retournèrent vers moi et, à l'unisson lancèrent un "Miss Sparkle, je présume?" joueur qui ne fit que m'agacer. J'étais venu pour aider Julien et voilà que deux caricatures venaient jouer les comiques devant nous. Michel comprit mon malaise et corrigea le tir.

Non! Aujourd'hui, nous allons nous pencher sur le cas de Julien, anciennement Julie...

Qu'en dis-tu François...

J'ai une impression de déjà vue... N'ai-je pas déjà vécu quelque chose de semblable?

Jason lança un coup d'il à Julien, puis à son frère avant de prendre un air grave.

C'est possible, mais je trouve que tu t'en sors beaucoup mieux!

Je dirais même plus...

Si vous avez terminé, tonna Michel qui, visiblement commençait lui aussi à être agacé par ces deux ahuris, j'aimerais préciser que le problème n'a rien à voir avec la mutation de Julien, mais concerne plutôt la réaction de sa famille face à sa transformation. Son père, malgré tout le respect que je te dois, Julien, est un SHAGISTE notoire et ne fait rien pour lui faciliter la transition. Ça résume bien ta situation?

Julien hocha la tête sans dire un mot.

Alors ça change tout, lança Jason alors qu'il l'attrapait par les épaules!

Si ta famille lui pose problème, renchérit François, on peut toujours l'adopter?

Tu es certain?

Meuh oui! Une bonne teinture et tout sera comme si...

ÇA SUFFIT!

Tout le monde se retourna vers moi. Je n'arrivais pas à croire que j'avais vraiment crié aussi fort, mais il fallait que quelqu'un fasse taire ces deux imbéciles.

Si vous avez terminé votre petit jeu de rôle ridicule, il y a quelqu'un qui a des vrais problèmes ici. Soit dit en passant, se transformer en un personnage de fiction n'a rien d'un jeu, c'est une maladie et je m'en serais bien passé. J'aurais espéré que des victimes du SHAGA comme vous auraient pu comprendre ça...

Les deux frères se regardèrent l'un l'autres pendant quelques secondes.

Je crois qu'on l'a vexée...

C'est possible, en effet!

Excuse-nous frérot!

Ils laissèrent finalement Julien et se placèrent de chaque côté de moi, chacun un de leur bras sur mes épaules.

Comprends bien que nous ne voulions pas d'insulter, commença Jason.

Il faut prendre ça comme un hommage!

Un honneur!

L'imitation est une forme de flatterie tu...

Je leur lançai un regard si sombre qu'ils n'osèrent plus rien dire pendant près de dix secondes.

Pardon madame, lança finalement Jason avant d'aller s'assoir près de Patricia où il fut immédiatement rejoint par François.

Avant de reprendre la parole, Michel passa derrière moi et me murmura "merci" à l'oreille ce à quoi je répondis par un léger hochement de tête.

Alors, comme je disais, Julien vit une situation peu enviable et j'aimerais que nous tentions de l'aider un peu...

Comment tu veux qu'on l'aide, Michel? C'est son père qui aurait de besoins d'un coup de pelte derrière la tête

Bonne question... Je propose que nous laissions Julien nous expliquer un peu par quoi il est passé au cours du dernier mois...

Julien me regarda, l'air inquiet.

Ne t'inquiètes pas, on a tous eu cette maladie...

Je... Je n'ai pas grand-chose à dire... Je me suis réveillé un matin avec du poil sur la poitrine et, j'ai été chez le médecin... Il m'a rassuré en me disant que ce n'était qu'un problème hormonal. Il m'a quand même fait une prise de sang et il m'a annoncé le lendemain que j'avais le SHAGA...

Comment tu l'as annoncé à ton père? Demanda Michel.

Je ne lui ai pas dit sur le coup. Mais, le lendemain matin, j'avais gagné dix bons centimètres. Je n'ai pas vraiment pu lui cacher. Il a fait une crise. Il m'a interdit de sortir jusqu'à ce que je sois stabilisé...

Je lui pris la main tendrement. Je n'avais pas la moindre idée de tout ce qu'il avait dû endurer.

Toute mon enfance, j'ai trouvé ma situation difficile. Être la seule fille de la maison à l'exception de ma mère n'était pas toujours facile et, d'après le médecin, c'est peut-être ce qui explique ma mutation. Depuis que je me suis stabilisé, mon père s'est un peu calmé, mais, à chaque fois qu'il me voit, il en profite pour me faire des commentaires désobligeants... C'est pour ça que mes frères m'on tenu occupé pendant les jours suivant ma transformation.

Il me lança un regard gêné.

Ils me traînaient voir les filles au centre commercial, au cinéma, tout pour m'éviter de rester trop près de mon père. Depuis les derniers jours, on peut dire que j'ai aménagé chez Twilight, mais on dirait que mon père essaie de m'atteindre, même à distance.

L'avis de décès? Demanda Michel.

Entre autre choses... Il m'appelle au moins une fois par jour pour me dire de rentrer qu'il est désolé, mais je sais que tout va recommencer. Dans un sens, j'imagine que sa fille lui manque, mais de m'avoir près de lui...

Ça lui rappelle que tu n'es plus vraiment sa fille... Complétais-je.

Julien fit oui de la tête.

Alors que nous rentrions, Julien feuilletait un petit pamphlet que Michel nous avait laissé : SHAGA - soutien aux familles et proches.

Tu crois que ça va aider?

Ça ne peut pas nuire... Mais je doute qu'un dépliant expliquant la maladie ne suffise à convaincre mon père de m'accepter comme je suis...

Qu'importe ce qu'il dit, tu es bien comme tu es et je t'aime!

Il s'arrêta net.

J'ai dit un truc qu'il ne fallait pas?

Non... Bien sûr que non... Mais... Je voudrais passer chez moi avant de rentrer...

Je le dévisageai un instant. J'avais oublié que, pour un garçon, les mots "je t'aime" sont parfois très difficiles à entendre et encore plus à dire. Bien que je lais ai dit à de nombreuses filles quand j'étais Alex, j'avais toujours un fond de culpabilité : en général, les sentiments que j'éprouvais envers elle se résumait à une attirance physique. Julie n'avait pas fait exception, mais je dois avouer que, lors de nos journées de révision, il y avait quelque chose de plus qui s'était installé. Peut-être n'était-ce que mon petit jeu de séduction qui m'était monté à la tête, mais je crois bien que, pour elle, j'aurais pu dire ces mots sans la moindre culpabilité : "je t'aime".

Après plusieurs secondes de silence, il me sourit timidement.

Je veux juste lui laisser ce bout de papier et prendre deux ou trois trucs...

Je croisai bras, perplexe.

Je ne peux pas t'en dire plus tout de suite, je te demande juste de me faire confiance...

Je restai silencieuse tout au long du chemin. Est-ce que je m'étais attaché trop vite? Julien était un garçon maintenant et j'étais très bien placée pour savoir que, sur certains points, les hommes et les femmes ne pensent pas du tout de la même façon.

Une fois arrivé devant chez lui, Julien me prit la main. Il tremblait.

Tu devrais peut-être m'attendre ici.

Je fis oui de la tête, il prit une profonde inspiration et s'avança vers la porte d'une maison de ville somme toute ordinaire. C'était peut-être mon côté poney qui parlait, mais avec tout ce que j'avais entendu sur son père, je me serais attendu à voir un terrifiant château avec vue sur une forêt maudite, bref, quelque chose totalement différent de cette petite rue tranquille de rivière des prairies. Bien que les arbres dénudés et les décorations d'Halloween donnaient un côté vaguement lugubre à l'endroit, il restait à des années lumières de l'image que je m'en étais faite.

Ça devait faire cinq bonnes minutes qu'attendais quand Julien sortit avec un sac à main et une valise, suivi presqu'aussitôt par un petit homme blond en complet gris.

Tu crois vraiment venir me faire la morale jusque chez moi?

Julien ne répondit pas.

Tu pourrais au moins faire semblant de m'écouter

Le problème, c'est justement que je suis le seul à écouter par ici...

Il gifla Julien qui, surpris, perdit pied et s'écroula sur l'allée. Il allait recommencer quand je décidai de m'interposer : je me plaçai entre le père et le fils.

Vous ne pensez pas qu'il a son compte?

C'est une histoire de famille alors si tu veux bien rentrer dans ton zoo, la mutante

La... La mutante a un nom, bredouilla Julien alors qu'il se relevait derrière moi. Twilight je te présente mon père... William... Papa, voici Twilight...

Un lourd silence se déchaîna sur la rue tandis que le petit homme blond tentait d'assimiler l'information. Après ce qui me parut une éternité, il ouvrit la bouche à quelque reprises avant de réussir à reprendre ses esprits.

C'est... C'est _ÇA,_Twilight?

On peut dire que c'est ta belle fille ajouta Julien en passant son bras autours de mon cou.

Toi, tu rentres à la maison, tout de suite...

Il a raison, Julien. Rentrons à la maison.

Je pris le sac à main que Julien avec lequel Julien était ressorti et embrassai Julien sur la joue. Nous étions sur le point de tourner le coin de la rue quand son Père tenta une ultime attaque.

Si tu pars avec ça, ne prends pas la peine de revenir.

Je m'arrêtai net. Julien, le visage encore rougis de la gifle qu'il avait reçus, semblait sur le point d'éclater en larmes. Cette fois, c'en était assez. S'il voulait la guerre, il allait l'avoir. Je fis volteface et me dirigeai droit vers cet abominable personnage. Alors que j'arrivai à sa hauteur, celui-ci bomba le torse pour tenter de m'impressionner, mais c'était en vain.

Écoutez-moi bien, beau papa...

Ses joues devinrent un peu plus rouges qu'elles ne l'étaient déjà.

Vous avez parfaitement le droit de ne pas m'aimer et, croyez-moi, c'est réciproque! Mais Julien reste votre fils et ce n'est pas une maladie qui va changer quoi que ce soit.

Il recula d'un pas.

C'est vrais, il n'est plus la fille qu'il a été, mais croyez-vous que c'est de sa faute? Il n'est pas contagieux, il n'est pas dangereux et tout ce qu'il vous demandait, c'était un peu de soutien dans ce qui était une des plus grandes épreuves de sa vie et non seulement vous lui refusez, mais en plus vous lui crachez au visage!

Je...

Je n'ai pas terminé! La valeur des gens ne se mesure pas à leur apparence, à leurs maladies ou leurs mutations. Ce sont nos actes qui définissent qui nous sommes. Ce soir, le véritable monstre, ce n'est ni moi ni Julien, ça non. En ce qui me concerne, vous devriez même vous estimer chanceux d'avoir le droit d'être considéré comme un être humain. Si jamais vous décidez de changer d'attitude, vous serez le bienvenu chez nous, mais en attendant, pitoyable résidu d'homo sapiens, j'espère au moins que vous vous rendez compte que ce n'est pas le SHAGA qui vous a fait perdre votre fille, mais bien votre attitude de connard!

Alors que nous nous éloignions, je crus entendre des éclats de pleurs que mes coups de sabots arrivaient presqu'à enterrer complètement.

Ce soir-là, une fois qu'il eut fini de se remettre de ses émotions, Julien entrepris de déballer ses affaire. J'étais surprise par le peu d'effet qu'il avait ramené. Il faut dire que, côté vêtements, il utilisait généralement ceux que je portais quand j'étais un garçon et que la plupart de ses vêtements féminins étaient déjà dans mon placard. Cela dit, sa valise ne contenaient qu'une poupée de chiffon, quelques livres, principalement des mangas, un album photo et une douzaine de DVD. Pas exactement ce à quoi je m'attendais.

Le plus important, me dit-il enfin, se trouve dans mon sac à main.

J'avais complètement oublié ce sac. En entrant, je l'avais machinalement accroché avec mon manteau. Je lui apportai, mais il refusa de le prendre.

J'aimerais mieux que ça soit toi qui l'ouvre...

J'hésitai une seconde puis j'y plongeai la main pour en ressortir une petite boîte recouverte de velours bleu. Je l'ouvris pour y trouver une petite bague d'argent ternis. Je lançai un regard intrigué à Julien.

Il y a moins de deux semaine, je portais toujours cet anneau. Ce n'est ni le plus brillant ni le plus cher qu'on puisse trouver, mais elle me vient de ma grand-mère. Maintenant qu'elle est trop petite pour moi, j'aimerais qu'elle te revienne...

P... Pourquoi tu...

Parce que je ne veux jamais m'en séparer, pas plus que je veux me séparer de toi, Twilight Sparkle...

CHAPITRE 12

Une bonne nouvelle

Il s'était écoulé près d'un an et demi depuis que Julien, exaspéré par les commentaires désobligeant de son père, s'était installé chez moi. Depuis, il avait réussi à se réconcilier avec lui, mais il préférait garder ses distance.

De mon côté, je n'avais toujours pas la moindre marque sur mon flanc. Julien m'avait proposé d'y peindre quelque chose, mais je refusai. Les seules personnes qui risquaient de voir ce symbole étaient Julien, moi et une troisième petite personne dont l'arrivée était prévu pour le mois de juillet. Je caressai mon ventre gonflé en me disant que je n'aurais jamais pensé donner un jour naissance à un enfant.

Bien que le gynécologue nous ait confirmé que notre petite serait influencée par mes mutations, il restait difficile de dire dans quelle mesure. Pour l'instant, tout ce que nous savions, c'est qu'elle avait une paire de sabot et une queue.

J'avais continué à travailler chez Brault et Martineau malgré l'avancement de ma grossesse. Comme j'arrivais à effectuer mes tâches sans forcer, le médecin m'y avait autorisé. J'avais même convaincu Robert d'engager Julien pour remplacer Jean-François.

Ce matin-là, cependant, ni lui ni moi ne travaillions. Nous avions décidé de faire du vendredi notre journée de révision. Julien y voyait une référence aux circonstances dans lesquelles nous nous sommes connu.

Toujours est-il que, vers midi, je ne pus m'empêcher de lui demander d'aller me chercher des carottes et de la crème glacée.

Vraiment?

Je suis enceinte, je te rappelle...

Je sais... Maugréa-t-il en se levant. Dire que, normalement, ça aurait été toi qui aurait cédé à tous mes caprices de femmes enceinte! Je reviens dans quelques minutes, mon petit poney!

Ça ne faisait pas deux minutes qu'il était parti que, déjà, je l'entendis monter l'escalier quatre à quatre pour entrer dans notre appartement en ouragan.

Twilight! Twilight, ça y est!

Quoi donc, dis-je en m'extirpant de mon fauteuil.

On a des nouvelles de l'admission à l'université...

Oubliant mon état, je sautai sur l'enveloppe qu'il me tendait et la déchirai.

Je mis un certain temps à déchiffré le cafouillage administratif, mais je finis par comprendre le contenu de la missive.

Et puis, demanda Julien.

Je commence en médecine l'automne prochain! Et toi?

Je... Je n'ose pas ouvrir?

Pourquoi?

Et si j'étais recalé... Je ne suis pas aussi fort que toi en sciences...

Alors, tu choisiras autre chose ou tu essaieras dans une autre université. Mais je suis certaine que tu es admis.

Il hésita encore quelques secondes et ouvrit l'enveloppe avec une prudente lenteur avant de se mettre à lire.

Il baissa alors la tête et prit un air soulagé.

Il semblerait que tu vas devoir me supporter dans tes cours...

Je lui sautai au cou et l'embrassai, puis il me repoussa.

Inquiète, je le dévisageai.

Qu'est-ce qui se passe, Julien?

Je... Excuses ma curiosité, mais tu as quelque chose sous ta chemise de nuit?

Euh...

J'avais beau regarder, je ne voyais rien qui n'était pas là la veille. Exaspéré, Julien leva les yeux au ciel et pointa le bas de mon haut pyjama sous lequel on pouvait voir une petite tache de couleur au niveau de mes hanches. Je reteins mon souffle et soulevai ma chemise de nuit.

Est... Est-ce que c'est ce que je crois.

Julien fit oui de la tête et je couru vers la salle de bain aussi vite que me le permettait mon ventre.

Elle était là : une étoile entourée d'étincelles sur laquelle se superposait un stéthoscope.

Ça fait un an que je te le dis, me nargua Julien du salon, mais je ne l'écoutais pas.

J'avais enfin ma marque de beauté. Je n'étais un poney que depuis dix-huit mois, mais j'avais l'impression d'avoir attendu cet instant toute ma vie. Je voulais crier, danser, sauter partout, mais un petit coup dans mon ventre me rappela que je n'étais pas seule dans mon propre corps.

Si on m'avait dit, à mon entrée au CÉGEP que je finirais mes études collégial enceinte, je ne l'aurais jamais cru. Pourtant, non seulement était-ce le cas, mais, en plus, j'étais comblée de bonheur. Peut-être pas le bonheur auquel un jeune homme de dix-neuf ans était en droit d'espérer, mais cette vie me convenait parfaitement à moi, Twilight-Sparkle Langevin.