Un tableau, une rencontre

Story by Niki_Roo on SoFurry

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#3 of Ryan


Le jour suivant, le temps est au beau fixe. Ryan sort doucement de son lit, réveillé par un rayon de soleil. Un peu désorienté, il passe par la salle de bain avant de s'asseoir et d'essayer de se rappeler les évènements de la veille. Il ne lui faut pas longtemps. Mais cette fois, il se garde bien de juger ses propres frayeurs avec autant de désinvolture : le souvenir en est encore trop frais dans sa mémoire. Ça ne l'empêche pas de les minimiser : il était tard, le soleil n'était plus qu'un souvenir depuis quelques heures déjà et il avait lu beaucoup la veille. Un livre qui oscillait entre la science-fiction et l'horreur, comme par hasard. Qui n'aurait pas été stressé ? Non, il n'a pas eu peur, il était juste stressé. C'est ça. Un peu moins honteux à présent, il se décide quand même et se lève à nouveau, prêt pour sa journée.


En ouvrant la porte du frigo, Ryan affiche un sourire qu'on qualifierait presque de carnassier s'il ne venait pas d'un kangourou. CHO-CO-LAT. Il n'a plus le temps, il le sait. Il est en retard, même.

Il regarde l'horloge.

Il regarde la plaquette de chocolat dans le frigo.

Il regarde l'horloge.

Il salive d'envie, mais regarde encore l'horloge.

Tant pis ! Il craque et prend la tablette, et se console en se disant que de toute façon, s'il ne l'avait pas prise, il aurait perdu au moins autant de temps en restant là sans pouvoir en détacher son regard.


En regardant sa montre, Ryan se dépêche. 10h05. Même en retranchant les cinq minutes d'avance qu'il y ajoute toujours -- ce qui l'a déjà aidé plus d'une fois -- il arrive malgré tout un peu juste.

Heureusement, il est maintenant devant la galerie. À chaque fois qu'il entre ici, il ressent une drôle d'impression à voir ainsi ses tableaux exposés. Il n'y a que quelques années, ça lui aurait paru surréaliste. Mais depuis, il a rencontré Stu. Stu Meurrier, le lapin à la tête de la galerie. Oh, ce n'est pas une galerie très renommée, bien sûr. Pourtant, celle-ci à quelque chose de très spécial pour Ryan : elle abrite aussi SES tableaux.


Mais ce n'est pas le moment de rêvasser, il a rendez-vous. Il se dépêche donc vers le bureau de la direction -- un titre bien ronflant pour cette pièce exigüe, mais c'est la seule salle coupée du public. Il ne prend pas la peine de frapper : ça fait longtemps qu'il a arrêté les formalités ici.

- Salut Stu ! Désolé, je sais que je suis un peu en retard.

L'interpellé regarde sa montre, et répond avec un sourire :

- Non, pas vraiment. Je ne pensais pas que tu arriverais avec moins de 20 minutes de retard, donc, tu es un quart d'heure à l'avance !

- ...

- Ne me regarde pas comme ça ! Au moins, maintenant, j'ai le temps de t'expliquer le sujet en détails...

Ryan fini par se reprendre.

- Ok... Et bien vas-y ! Explique !

- Alors voilà. Tu te souviens de ce léopard de la fois passée ? Ce fou qui voulait arracher ton tableau en criant que c'était une copie du sien ?

- Et comment ! Tout ça parce qu'on avait peint le même sujet ! L'ancienne tour Sainte-Catherine, je pense, qu'on a démolie depuis. Si je deviens un jour comme ça, je t'en prie, achève-moi !

- Je n'hésiterai pas, sois-en sûr !

D'un ton un peu sarcastique :

- Ça fait plaisir de voir qu'on peut compter sur toi... Mais bon, quel rapport avec maintenant ?

- C'est simple, tu as eu ta photo dans le journal, à côté de ton tableau...

- ...et le photographe m'a fait changer de position 20 fois, oui, je m'en souviens, merci !

- Tu devrais plutôt le remercier, ce photographe ! Parce que grâce à lui, tu vas pouvoir vendre ton tableau au double du prix !

- Mais j'avais indiqué le prix que j'en voulais dessus !

- Oui, mais quelqu'un m'a téléphoné et m'a demandé de réserver le tableau. Quand je lui ai dit que je n'étais pas l'auteur et que je n'avais aucun droit dessus, encore moins celui de le réserver, il m'a demandé de te faire l'offre au plus vite, pour le double du prix. Il y a des gens qui sont bizarres... En tout cas, il m'a demandé de le rappeler dès que j'avais ta réponse. Alors comme tu viens de toute façon tous les jeudis, je me suis dit que j'allais te faire venir selon les règles, rendez-vous formel et tout. J'espérais que tu allais te mettre sur ton trente-et-un...

- Même pour aller au restaurant je ne mets pas de costume ! Et puis, je suis en chemise, c'est déjà pas mal, non ? Surtout qu'on connait tes motivations...

- Mais non ! Pas du tout ! Et puis si ç'avait été pour mes "motivations", je t'aurais demandé de venir en maillot de bain, pas en costume ! ... Enfin maintenant que tu le dis, si tu te décides un jour à mettre un costume, passe me dire bonjour, on pourra faire un saut chez moi et je te montrerai...

- Stop ! C'est bon, merci ! Pas besoin de détails !

Ayant visiblement envie de changer de sujet, il se dépêche d'ajouter :

- Et à propos de cette affaire ?

- Ah oui ! Et bien je lui ai dit de venir te voir directement, que ce serait plus facile pour discuter, mais que je supposais qu'il n'y aurait pas de problème.

- Ah bon ? Mais quand ?

- Maintenant bien sûr !

- Quoi ? !

- Oui, il passe dans...

Il regarde sa montre.

- Une demi-heure à peu près.

- Et bien merci de prévenir !

- Hé ! Je t'ai demandé de passer, non ?

- Oui... Enfin, je suppose que je dois te remercier de m'aider pour mes ventes. Les relations publiques, ça n'a jamais été mon fort.

- En effet, je confirme... Au fait, par remercier, je suppose que tu n'entends pas "maillot de bain" ?

Son sourire rencontre le regard assassin de Ryan, mais ça ne le fait sourire que plus fort. Notre Kangourou répond, d'un ton qui se veut glacial :

- Non. Et au lieu de rêver debout de ce qui n'arrivera jamais, si tu me disais plutôt ce que je suis sensé savoir sur ce type ?

- Oh, il ne faut jamais dire jamais...

- Stu !

- Bon, bon. On va commencer par le début.


- C'est un couguar, du nom de François Mantisse. Il m'a l'air plutôt formel, mais pas agressif. Et visiblement pas sans le sous !

- C'est clair ! S'il propose le double du prix juste comme ça, il n'est bien sûr pas dans la dèche !

- Tu m'as compris.

- Et il y a autre chose ?

- Hmm... Il n'est pas tout jeune, mais n'empêche, il n'est pas déplaisant à voir... En fait, même en m'approchant de tout près, je ne lui ai pas trouvé de défauts.

Ryan manque s'étrangler.

- Tu ne lui as pas fait des avances quand même ? !

- Oh oh !

Avec un grand sourire, il continue :

- Serait-on jaloux ? Non ne t'inquiète pas, j'ai mon kangourou favori pour ça...

En disant ça, il lui lance un regard plein de sous-entendus.

Résigné, celui-ci répond :

- Tu ne me laissera donc jamais...

- Et non !

- Ce n'était même plus une question.

Stu prend un regard étonné, pour faire semblant de ne pas comprendre.

- Pourtant, tu me la pose à chaque fois !

- Oui, bon, ça va, laisse-moi tranquille maintenant ! Et ce François, tu as une idée de pourquoi il tient tant à acheter mon tableau ?

- Non, pas vraiment. Il ne me l'a pas dit. Mais je crois que tu ne vas pas tarder à le savoir !

Il indique le client qui vient de rentrer de la patte.

- Regarde, le voilà justement !

- Mais tu m'avais dit une demi-heure !

- Je suppose qu'il est là à l'avance, voilà tout ! Allez, viens ! On ne va pas le laisser attendre là comme ça !

Et il entraîne le kangourou avec lui.


À l'approche de nos deux camarades, le couguar tend la patte à Stu.

- Monsieur Meurrier.

- Bonjour monsieur Mantisse.

Stu n'hésite pas à donner sa patte mais reste un peu sur le côté, pour pouvoir présenter Ryan.

- Je vous présente Ryan Bracker, l'auteur du tableau.

Ryan, qui n'est pas très habitué à des rencontres aussi formelles, ne sait que dire. À son grand soulagement, Fraçois n'hésite pas plus longtemps avant de lui tendre la patte à lui aussi.

- Enchanté de vous rencontrer !

- Heu... Moi de même...

- Je m'excuse d'arriver un peu en avance, je pensais juste faire un tour dans la galerie avant notre rendez-vous.

Voyant que Ryan n'est pas trop à l'aise, Stu se décide à intervenir.

- Je peux vous faire faire la visite, si vous voulez. Ma galerie n'est pas grande mais ça me ferait plaisir de vous la montrer.

- Non, merci bien, mais je ne vais pas faire attendre Monsieur Bracker. Je reviendrai une autre fois pour la visite.

En se retournant vers Ryan :

- Si nous allions plutôt voir votre collection ?

- Oui... Bien sûr. Et bien suivez-moi, je vous y amène.

Quand ils se mettent en marche, le kangourou devant, le sourire de Stu ne lui échappe pas. Il ne se pose même pas la question de savoir ce qui le fait sourire, il se rend bien compte qu'il a l'air complètement ridicule dans cette situation. En fait, il utilise rarement le mot "vous" pour moins de deux personnes... Ils passent dans la deuxième partie de la galerie et arrivent devant l'étalage de Ryan.

- Voilà, c'est ici.

Il pointe ses tableaux de la patte :

- Je sais que je n'en ai pas beaucoup d'exposés mais je préfère prendre mon temps pour les terminer.

- C'est tout à votre honneur. Je suis moi aussi partisan du travail bien fait.

François regarde alors les tableaux et son regard se pose sur celui qu'il veut acheter.

- Ah ! L'ancienne tour Sainte-Catherine ! Ça m'en rappelle des souvenirs !

Ryan commence à comprendre pourquoi François était si intéressé par le tableau mais, pour en être sûr, il lui demande quand même :

- Vous vivez dans la région ?

- J'y vivais. C'est ici que je suis né et que j'ai grandi.

Il s'arrête là, ayant envie de continuer mais gêné d'en avoir déjà tant dit.

Mais Stu et Ryan, plutôt curieux de connaître la suite -- et pas le moins du monde dérangés par ça --, le pressent de continuer.

- Il y a maintenant... déjà plus de vingt ans, oui, j'ai eu l'occasion de travailler un peu comme réceptionniste dans une "société spécialisée dans le règlement de litiges" -- je me rappelle encore le titre qu'ils utilisaient pour éviter de dire "avocats". C'est vrai qu'à l'époque, le métier était assez mal vu. Mais pour en revenir à cette société ; je faisais déjà des études dans le domaine économique et en entrant là, je me suis rendu compte que c'était beaucoup plus intéressant que je ne le pensais. C'était une petite société à ce moment là et c'est pour ça que, de fil en aiguille, j'ai pu avoir une place un peu plus substantielle. Celle-ci était réservée avant même que je ne finisse mes études. Mais il n'a pas fallu attendre des années avant que la firme ne déménage. Et bien sûr, j'ai suivi -- après tout je n'aurais peut-être plus jamais eu une telle chance et quand on est jeune, un tel changement ne fait pas peur. Mais quand on a plus vingt ans, la nostalgie fait surface. Je suis revenu visiter la ville il y a deux ans, mais tout avait changé au point que je ne reconnaissait même plus les rues.

Se redressant un peu, il se reprend.

- Ah, excusez-moi ! Dès que je ne suis plus dans une cours, je me mets à parler comme un ancien combattant dans un hospice !

Pour le rassurer, Ryan lui dit :

- Mais non ! Il n'y a pas de mal à ça ! Et ça explique pourquoi vous avez été attiré par le tableau. Je suppose que vous connaissiez bien la tour ?

- Oui, je passais souvent devant. En étant plus petit, j'ai même tenter de l'investir à plusieurs reprises -- sans succès.

- Non, c'est vrai qu'elle était bien surveillée quand elle était encore en activité. Peu après, par contre, c'est devenu beaucoup plus facile.

La remarque fait sourire le couguar.

- Ah je vois ! Je suis né quelques années trop tôt en somme. Mais sinon, vous qui semblez si bien connaître la tour, j'en déduis que vous venez aussi d'ici ?

- En fait, pas directement... J'avais cinq ans quand mes parents ont emménagés ici.

Ryan perd son sourire quand il dit ça, comme si ça lui rappelait de mauvais souvenirs. Mais il se dépêche d'ajouter :

- Mais j'y suis resté depuis.

Voyant l'hésitation de Ryan, François essaye de changer de sujet.

- Et comment vous est venue l'idée de peindre ?

- Je venais d'avoir dix ans quand j'ai commencé. Comme elle savait que j'aimais bien les coloriages -- j'en faisais tout le temps -- ma mère m'a offert un kit de peinture pour mon anniversaire. Au début ce n'était qu'un passe-temps, un jouet ; mais c'est la dernière chose qu'elle m'ait offert avant l'accident. Alors quand je peins ça me rappelle un peu mes parents.

Cette fois-ci, il n'y a plus la moindre trace de sourire sur le museau de Ryan.

- Désolé, je ne savais pas...

- Oh, vous n'y êtes pour rien !

Il essaye de reprendre sons sourire mais on voit bien à sa queue immobile et basse qu'il fait semblant.

- Et si on parlait plutôt d'autre chose ?

En voyant le malaise de Ryan, Stu essaye d'intervenir :

- À propos, Monsieur Meurisse, le tableau semblait vous intéresser je pense ?

Content de pouvoir changer de sujet, le couguar s'avance près de Ryan :

- Je en sais pas si votre ami vous l'a dit, mais je souhaiterais acheter votre tableau.

- Oui, en effet, il m'en a parlé.


Après quelques discussions, ils se mettent d'accord sur la vente. François peut ainsi acquérir un tableau qui lui rappelle ses origines, et Ryan réalise une belle opération financière. Ils sont donc tous deux contents de la transaction.

Un peu pressé sur son horaire, François doit se dépêcher.

- Et bien Monsieur Bracker, merci encore pour ce tableau !

- Vous savez, à ce prix là, c'est moi qui doit vous remercier...

- Il n'empêche, merci. Et si à l'occasion nous pouvions nous revoir, ça me ferait plaisir de pouvoir reparler de mon ancienne ville.

- Ah... Ce serait avec plaisir !

- Je suis vraiment désolé de ne pas pouvoir rester plus longtemps mais je suis déjà en retard. Enfin voici ma carte.

Il lui tend une carte de visite.

- Si vous pouviez m'appeler d'ici quelques jours, nous pourrions peut-être trouver une date ?

- Heu... Oui, bien sur, je vous rappellerai alors.

Cette fois ci, François n'a plus le choix, il y va.

- Monsieur Bracker. Monsieur Meurrier.

Il sert la main à l'un puis à l'autre.

- Au revoir.


Après son départ, Stu et Ryan reviennent dans le bureau.

- Et bien ça y est Ryan ! Tu vois qu'il n'y avait pas à paniquer !

- Mais qu'est-ce que j'avais l'air bête, en attendant !

Presque étonné, Stu reprend.

- Ah bon ? Je ne trouvais pas pourtant !

- Ah, arrête ! Tu étais au bord du fou-rire au début !

Là, Stu ne comprend plus rien. Il va de surprise en surprise.

- Attend... La seule fois où j'ai eu envie de sourire, c'est quand tu l'as mis directement à l'aise, presque embobiné, dès les premières phrases.

- ... Alors ça c'est bien passé ?

- Mais oui ! Je te le dis depuis tantôt ! Et puis, ton tableau s'est bien vendu, non ?

Alors seulement, Ryan commence à se calmer...