Chroniques de Miyori - Un Aigle Egare Partie 2

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#2 of Miyori's Chronicles [FR]

Après avoir quitté son village pour retrouver le familier de son dieu, Ikita doit atteindre la Cité de Bahjel en traversant le vaste désert de basalte qui sépare la ville des montagnes de Miyori. S'il s'attend à trouver à l'enfer, il ne se doute pas un instant de la réalité qu'il devra vivre.


Chroniques de Miyori

Un Aigle Egaré - Partie 2

  • Quelle chaleur...

Cela devait bien trois jours que je marchais dans le désert de roche séparant les Chaines de Miyori et la métropole de Bahjel. Aucune route n'arpentait le plateau accidenté ce qui rendait le trajet difficile et dangereux. L'hiver n'avait en rien adouci l'air asséché et brûlant de ces étendues de basaltes. De plus, mes coussinés étaient douloureux à cause des pierres et des rochers coupants tels des rasoirs parsemant le sol, m'obligeant à de nombreux arrêts pour changer mes lanières ensanglantées.

Heureusement, il ne me restait plus beaucoup de chemin à parcourir. Le ciel était recouvert de ce miasme rouge sombre que moi seul pouvait ressentir, m'indiquant que j'approchais de la ville. Cependant, je n'avais que très peu vu de voyageur jusqu'ici. Le désert était jonché de squelettes et de cadavres momifiés dont les âmes errantes étaient si meurtries que leurs paroles étaient confuses et chaotiques. La faim et la douleur les avaient menés à la folie, leurs corps fuyant la ville. Je n'osais imaginer ce qui m'attendais là-bas, ni comment qui que ce soit puisse avoir l'idée même de venir y vivre.

Les Cités Divines de Sumeris étaient soi-disant le monde légué par les dieux à leurs enfants en tant que modèle du paradis. Je ne connaissais cependant pas tous les rouages qui faisaient fonctionner une société aussi dépravée et éloignée du rêve qu'elle prétendait incarner. Les Astats dirigeaient les Cités et contrôlaient chaque aspect, décidant de la vie et la mort de chacun de leurs sujets, instaurant l'esclavage, l'hédonisme et le culte du profit.

Si des âmes pouvaient croire en ce divin mensonge, j'en étais insensible car mes sens me montraient la vérité qu'il cachait. Tout autour de moi, je ressentais l'horreur emplissant l'air comme une odeur de putréfaction. Les esprits avaient déserté la région depuis de nombreuses années, créant ce désert de roche grise, stérile et sans vie. Il la retirait à ceux qui fuyait l'enfer que Sumeris était réellement.

Mon père m'avait raconté bien des histoires horribles sur les Cités et particulièrement sur Bahjel. Il m'avait expliqué comment les « Sans-Castes » étaient traités, torturés en pleine rue, parfois violés et éventrés pour le simple plaisir ou un mot malencontreux. Père avait tellement bien effectué son travail, que même sans avoir atteint les murailles de la cité, j'avais déjà envie de fuir comme un chaton apeuré.

L'anxiété et la soif m'étreignaient. Je m'arrêtai un instant pour ouvrir mon baluchon et prendre une gourde de peau que j'avais rempli dans un ruisseau après avoir atterri à la lisière du plateau. Elle ne contenait qu'à peine de quoi me sustenter en cet instant. Aussi, je la portai à ma gueule pour en extirper la moindre goutte.

« Souhaitez-vous de l'eau fraiche, étranger ? entendis-je faiblement derrière moi.

Je fus surpris et sursautai sortant mes griffes par réflexe, prêt à combattre. Ma gourde tomba au sol et perdit le peu de liquide qu'il lui restait après que je l'eus lâché par instinct. La queue tendue et ébouriffée, je me retournais lentement pour voir un jeune guépard à peine moins âgé que moi. Il était vêtu d'une simple tunique de tissu usée et trouée en divers endroit. Son pelage n'était pas bien entretenu, palissant sur ses bras et son visage. Je ne l'avais ni senti, ni entendu s'approcher.

« Vous avez l'air d'avoir soif, » insista-t-il.

J'observai l'inconnu quelque secondes sans dire mot, pour constater qu'il n'était pas armé. Sa posture ne laissait aucunement présager une quelconque agressivité. Je me détendis, bien que vigilant, et ramassa ma gourde pour la ranger sans quitter l'adolescent du regard.

« Bonjour, le saluai-je. Tu m'as fait peur, jeune guépard. Je ne m'attendais pas forcément à trouver âme qui vive. Le désert est meurtrier de ce que j'ai pu voir.

  • Et pourtant, vous êtes là, sourit-t-il.

  • Oui, c'est vrai... Je dois me rendre à Bahjel et il n'y a pas moyen s'y rendre facilement en venant des montagnes. Viens-tu de la ville ?

  • Suivez-moi, me répondit-il, ma ferme est proche. »

Il se tourna et s'éloigna sans m'attendre. Quelque chose d'étrange émanait de lui ainsi que dans sa façon de parler. Constatant que le vent se levait, soulevant poussières et cendres, je le suivis sans poser de question pour ne serait-ce que trouver un abri face à la tempête qui naissait.

Nous marchâmes suffisamment longtemps pour que le crépuscule commençât à apparaitre, devenant nuit lorsque la tempête prit toute son ampleur. Capuche levée, je me dissimulais le visage dans mon bras, filtrant la cendre avec ma fourrure, ne sortant les yeux que pour m'assurer de ne pas perdre mon guide. Il n'avait pas l'air perturbé le moins du monde et avançait inexorablement face à lui.

Nous finîmes par atteindre une clôture, laissant apparaitre les restes de ce qui fut surement un champ quelques années auparavant. Les plants étaient toujours debout, pétrifier et immortaliser dans l'illusion de la vie. En la contournant, suivant toujours l'adolescent, je vis sa cahute, tout aussi délabré que laissait entendre le reste de son domaine. Comme partout dans le désert, il n'y avait pas ni esprit, ni vie. Seule la mort régnait ici, et j'étais maintenant sûr que ce jeune homme face à moi n'était pas en vie.

Il ouvrit la porte de la bâtisse dont les gonds fragilisés hurlèrent leur douleur. J'hésitais à entrer. Les Marcheurs, cadavres possédés, sont des êtres imprévisibles, pouvant parfois piéger des victimes errantes ou perdus. J'aurais pu le détruire en l'instant, mais je ne me trouvais point sur le domaine de Boréas et ce n'était pas là ma tâche. D'autant plus qu'il y avait une chance qu'il dispose encore de son âme, ce qui ne le rendrait guère différent de s'il était en vie.

Je passais le perron en observant le visage livide du guépard. L'illusion étant maintenant brisé, je constatai ses yeux vitreux et les lambeaux de chair momifiés. Il ne présenta toujours aucun signe de malignité. L'intérieur de la bâtisse trahissait des années d'abandon. Quelques meubles et rangements brisés était dispersés et je vis dans un coin de la vaste pièce commune le lit familial. Deux corps momifiés y reposaient, vêtus d'atours aussi simple que ceux de l'adolescent, sûrement ses parents, qui eux n'ont pas été réanimés par la corruption de Bahjel.

« Je vous prie de vous assoir, me suggéra-t-il en m'indiquant une chaise près d'une table cendreuse. Je vais prendre de quoi vous abreuver. Avez-vous faim ?

  • Oui, assez, fis-je en m'asseyant avec méfiance.

  • Il doit me rester du pain dans la réserve. »

Sa faible voix était toujours celle d'un jeune atteignant l'âge adulte. Elle ne trahissait en rien la possession d'un intrus qui n'aurait pas la totale maîtrise de son nouveau corps. Je l'observai emprunter la trappe du cellier et attendit, prêt à réagir au cas où il attaquerait par surprise. Mais rien n'arrivât lorsqu'il revint avec une amphore et ce qui a surement été un pain comestible il y a pas mal de saison.

« Voilà, fit le guépard en souriant en déposant les vivres sur la table.

  • Euh, merci. »

Je pris un gobelet à proximité pour constater qu'il était rempli de poussière. J'ouvris tout de même l'amphore malgré son âge, pour constater avec étonnement que l'eau était potable. J'en bus une gorgée sous les yeux curieux du Marcheur.

« Cela fait si longtemps que je n'avais pas eu de visite, fit-il avec une pointe de mélancholie tout en s'asseyant à la table.

  • Combien de temps ? demandai-je en reniflant avec curiosité le morceau de pain fossilisé que j'avais en main.

  • Je ne sais pas. Depuis que la vallée a brûlée, je crois.

  • L'Embrasement, il y a vingt ans... »

Je n'étais pas encore né, mais Père m'avait parlé de ce jour où la verte vallée devint une mer incandescente, détruisant toute vie, peu après que Bahjel fut fondée. Nous n'avons jamais su au village ce qu'il s'était passé. Il s'agissait sans doute d'une malédiction issue du mal régnant dans Sumeris.

« C'est rare qu'un Marcheur comme toi garde son corps aussi longtemps, lui remarquai-je maintenant convaincu qu'il n'était pas un danger.

  • Je... Je n'ai pas mérité de rejoindre les dieux comme papa et maman. » Il croisa les bras, visiblement bouleversé. « J'étais un mauvais fils. »

En s'ouvrant à moi, il me permit de ressentir vaguement ses émotions, transparaissant par son énergie spirituelle. Il se sentait coupable, blessé, tiraillé entre amour et haine. Je me retins de lui demander des détails, comprenant qu'un lourd et douloureux passé l'avait probablement empêché de les suivre.

« Je peux t'aider à mourir si tu veux, lui proposai-je sans trop y croire mais esquissant un sourire.

  • Non... Je resterai et guiderai les errants jusqu'à ce que le Lion m'estime digne de lui. »

Je détournai le regard et grognai à l'évocation de ce nom. Il était clair que ce dieu n'avait cure des tourments de ses sujets en son propre domaine. Cependant, mes serments m'obligeaient à respecter les volontés de cette âme.

« Comment t'appelles-tu ? Je suis Ikita.

  • Ari... » Il se leva et se dirigea vers une étagère tenant encore miraculeusement sur le mur. « Je peux sûrement vous être utile. Vous n'arriverez jamais à Bahjel en marchant dans le désert. Le Lion a dressé une barrière divine pour empêcher les Marcheurs comme moi et tout autre âme de franchir le seuil du désert, mais je connais un moyen. »

Il agrippa une boîte en bois qui reposait sous un petit tas de cendre. Il l'ouvrit pour me montrer son contenu. Je le rejoignis pour y voir un disque et une aiguille tournant sur elle-même dans une petite coupole de verre.

« La boussole montre le chemin, m'expliqua-t-il. Suivez juste la direction de l'aiguille et vous atteindrez la ville. »

Je pris l'objet pour l'observer sous toutes ses coutures. Je n'avais jamais vu tel artefact et ne comprenais pas non plus sa magie. Je n'y ressentais pourtant aucune force spirituelle.

« Très bien, Ari, fis-je en rangeant la boussole dans mon sac. Je dois m'en aller, mais j'espère que tu finiras par trouver le repos.

  • Un jour le Lion me pardonnera... »

Il se retourna et s'approcha du lit où reposent ses parents, pour les rejoindre dans une étreinte morbide mais étrangement chaleureuse. Je ressentais tout son remord, sa tristesse et son désespoir, tel un torrent qui inondait mon âme. Je ne pus rester plus longtemps, alors je passai la porte et quittai la ferme d'un pas rapide, non sans essuyer les larmes qui perlaient sur mes joues.

La tempête s'était calmée et mon chemin dans le désert n'en fut que plus simple avec maintenant l'artefact pour me guider. J'en suivais scrupuleusement les indications prenant des détours étranges et sans sens apparent. Je finis cependant par atteindre des terres plus accueillantes. Au détour d'un rocher, je pus enfin apercevoir les hauts murs de la cité.

La Divine Cité de Bahjel face à moi démontrait son effrayante splendeur. Ses imposantes murailles finement ouvragées soulignaient l'horizon d'une interminable ceinture ocre, dont les créneaux pourraient atteindre les sommets des plus hautes collines. Les sommets des bâtiments d'argile dépassaient à peine de la structure et étaient surmontés d'une aura pourpre suintant dans le ciel nocturne tel un poison. Sa seule vision me rendait nauséeux et m'évoquaient des sombres sentiments que je faisais mon possible pour ignorer.

Près de là, à quelques centaines de mètres, je pouvais deviner une ouverture dans les remparts gardée par deux statues d'or représentant des lions divins en armure à la taille ridiculement exagérée. Sa grande porte sombre éclairée de vives torches portait des inscriptions qui m'étaient inconnus. Je m'approchais et aperçus au pied des statues deux guépard armés de lances et vêtues d'étranges tenues écarlates et dorées, de nombreux bijoux parant leurs membres nus.

Alors que je parvins à quelques mètres de la porte, l'un des félins quitta son poste et m'aborda à la fois méfiant et curieux. Je ne savais si je devais me sentir en danger ou non.

« Bonsoir, voyageur ! m'interpella-t-il avec autorité.

  • Bonsoir, répondis-je avec une certaine candeur et énergie. Puis-je savoir qui vous êtes ? Je ne nomme Ikita.

  • Je ne nomme Canan... dit-t-il lentement visiblement étonné par ma verve. Je suis un garde du Ministère de Bahjel et ceci est ma porte.

  • Vu sa taille, vous devez en être fier. »

Je souris à mes paroles, mais le soldat n'avait visiblement par l'air amusé pour le moins du monde. Il jeta un regard à son collègue près de l'entrée et se dernier se mis sur ses gardes. Je reniflais une certaine tension. Ils se demandaient si j'étais un ennemi.

« Pardonnez-moi pour ce trait d'humour, continuai-je. Je suivais une caravane marchande et je me suis perdu. Je ne souhaite que rejoindre la ville et m'y reposer.

  • Nous n'attendions personne d'autre et je ne reconnais pas votre espèce. »

Il tourna autour de moi pour m'examiner sous toutes les coutures. Il était fasciné bien que visiblement confus. Son compagnon observait la scène de loin sans sourciller. Après avoir effectué un tour complet, il s'arrêta et réfléchit un instant avant de se tourner brièvement une nouvelle fois vers l'autre guépard.

« T'en penses quoi, Ren ? On devrait le laisser passer ?

  • Bah, réagit son compagnon, s'il a suivi la caravane par les tunnels, c'est que ces abrutis de la Garde-Frontière l'ont laissé passer, non ?

  • Vous êtes quoi exactement ? me demanda brutalement le soldat.

  • Un... léopard des neiges.

  • Un autre félin ? D'accord, passez. Mais les lois ne vous protègeront pas ici, alors pas de bêtise. »

Il s'éloigna pour reprendre son poste sans me quitter du regard. J'avais un mauvais pressentiment dont je n'arrivais pas à me défaire. Je fis quelques pas et j'avais déjà l'impression d'entrer dans l'antre infernale d'un dieu maléfique. Je mis ma capuche et repris ma marche pour dépasser les gardes et franchir le grand portique d'obsidienne qui me verrait entrer dans l'inconnu d'un monde pour lequel je n'étais en rien préparé.

L'avenue qui se présentait alors face à moi était sans commune mesure avec ce que j'avais connu. Je ne rencontrais nul humain, mais en lieu et place des dizaines de mes semblables de tout âge appartenant à de nombreuses d'espèces différentes. Ils arpentaient les rues parlant, criant, riant et se disputant avec passion. Si certaines personnes me regardaient avec intérêt, la plupart ne m'accordait aucune attention, ce qui m'arrangeait d'une certaine manière.

Les bâtiments se ressemblaient tous bien que très différent des huttes en bois et tissu que j'ai toujours connu. Les murs étaient en argile, d'une couleur sombre et morne qui contrastaient avec les différents tissue de couleurs vives, décorant le haut des portes ou traversant les rues. La vie avait l'air intense dans la métropole malgré l'heure alors qu'à Yarita, le calme était omniprésent dès le crépuscule.

Après un temps interminable à déambuler, je finis par atteindre un marché. Les étals étaient remplis de nourritures, d'objets et de vêtements qui m'étaient étrangers. J'étais effrayé et curieux à la fois de toutes les merveilles qui m'entouraient. Je reniflais ici plus d'ailleurs des senteurs inconnues et complexes mêlant la pourriture, la sueur, la sophistication et même le sexe. Certaines me répulsaient, mais d'autres... d'autres s'avéraient bien plus enivrantes.

J'approchais une à une les tables sur lesquels les artisans avaient déposé le fruit de leur création. Ces derniers en me voyant n'hésitaient pas à me vanter le raffinement de leurs ouvrages, avant de m'ignorer lorsqu'il apprenait que je n'avais pas d'argent à leur proposer. Cependant certains me regardaient différemment, avec intérêt et envie. Ma queue et mon corps se tendait progressivement alors que je ressentais leur envie de me posséder, comme des maillons enchainant mon esprit dans une volonté de servitude.

Pris soudainement d'un malaise, je tentai de quitter les lieux en accélérant le pas, fuyant dans le torrent tumultueux de la foule. Les lumières rougeoyantes des lampes à huile éclairant le chemin me brûlaient la peau, comme si ma fourrure était en proie à un brasier. Sentant la panique, j'observais du coin de l'il les recoins des corps d'argile de la cité y ressentant une luxure dévorante se dissimulant derrière les ombres de silhouettes sans visage. Les mâchoires et les crocs s'ouvraient et claquaient dans une frénésie incontrôlable, léchant, caressant et corrompant la moindre innocence s'abandonnant à un maître invisible et omniprésent.

Je m'arrêtai contre une barrière de planches pour reprendre mon souffle et mes esprits. Ma respiration était devenue erratique, difficile. Quelques personnes m'observaient avec méfiance et curiosité, se demandant surement ce que pouvait bien faire l'étranger que j'étais. Tremblant, je portai ma gourde à mes lèvres pour me rafraichir mais constatait qu'elle était désespérément vide. Une personne m'approcha avec prudence.

« Allez-vous bien étranger ? me demanda-t-elle avec pitié.

  • Oui... répondis-je essoufflé. Je pense que j'ai juste besoin d'un peu d'eau.

  • Il y a un puit d'eau un peu plus loin. Laissez-moi vous... »

A l'instant où elle approcha sa main de mon bras, je la repoussais avec force pris d'une panique irraisonnée. Elle recula de quelques pas, elle-même effrayée.

« P-pardonnez-moi, » balbutiai-je.

Je repris ma marche avec hâte pour m'éloigner. Je ne comprenais pas ce qui m'arrivait. L'environnement m'oppressait comment rarement auparavant. Mon esprit était saturé de flots d'émotions incontrôlable. Je me sentais observé et désiré. C'était comme si chaque regard exprimait la menace pour moi d'être dévoré par une meute enragée. J'avais l'impression d'être une proie.

Je trouvai le point d'eau dont l'individu m'avait parlé : une structure d'argile semblable à un petit puit contenant une eau limpide et fraiche. Je pris un gobelet à proximité et l'enfonça dans le liquide pour le porter à ma gueule. Même l'eau claire, source de vie, avait ici le goût de la mort. Je versai le contenu sur mon visage pour prendre mes esprits. Lorsque j'ouvris à nouveau les yeux, une nouvelle horreur s'imposa à ma vue.

Des renards, loups et chiens étaient nus, attachés à des poteaux sur des plateformes de planches autour desquels une grande masse de marchands et badauds vêtus d'atours colorés et de bijoux se bousculaient les uns les autres tout en brandissant leurs bourses. Nombres de ces malheureux étaient maigres, sans espoir, semblant résolu à une fatalité dont ils ne pouvaient s'échappés. Ils étaient traités comme des marchandises par leurs tourmenteurs, examinés jusque dans leur plus profonde intimité pour satisfaire les demandes vicieuses des intéressés. Est-ce dont là l'esclavage dont m'avait parlait mon père ? Pourquoi y avait-il des enfants parmi eux... ?

Mon mal-être fut tel que je ne pus retenir ma révulsion et la déversai sur le sol dans une puanteur qui se mêla au reste des effluves malades de la cité.

« Rappelle-toi de tes enseignements, soupirai-je à moi-même tentant de me concentrer. Laisse le flot s'écouler, ne l'écoute pas et reprend le contrôle par ta raison... »

J'inspirai profondément et pris le temps de nettoyer ma gueule en tâchant d'ignorer mes émotions, mais c'était pratiquement irréalisable. Je ne pouvais fermer les yeux sans voir l'horreur. Je ne pouvais me boucher les oreilles sans entendre la souffrance. Je ne pouvais arrêter de respirer sans sentir la luxure et le sang. Même mes vibrisses percevaient une vibration malsaine dans l'air.

Je ne pouvais pas rester ici. Je devais trouver un lieu calme pour reprendre le contrôle. Alors je me mis à courir pour m'éloigner de cet enfer, zigzagant dans la foule compacte. Lorsque je sentis une oasis de calme dans un bâtiment à proximité, identique à tout le reste, j'y pénétrai par instinct sans me poser de question.

« Bienvenue mon cher ami. »

Par une violence silencieuse et indolore, tout redevint soudainement calme, comme au milieu de l'il d'un cyclone. Une renarde aux seins nues se tenait devant moi, dans une tenue écarlate ne couvrant que le bas de son corps, en l'attente de mes demandes. D'autres renards des deux sexes s'affairaient à servir dans des attitudes évocatrices les convives allongés sur des divans, se prélassant dans des amoncellements de coussins de soie aux couleurs chaudes et vives. Il s'agissait surement d'un de ces établissements dont Kobe se plaisaient à me décrire.

« Bonjour, répondis-je gêné à cette dame, je... je ne suis que de passage.

  • Un visiteur d'une contrée étrangère n'est-ce pas ? »

Elle se rapprocha de moi avec un regard langoureux et intéressé. Elle me prit le bras et examina ma fourrure et mes muscles en les dessinant du bout de ses doigts.

« Je... je n'ai pas d'argent, lui indiquai-je en ne sachant comme réagir.

  • Ce n'est pas grave... Un don de soi est aussi un bon paiement, ricana-t-elle.

  • Je ne suis pas sûr de comprendre. »

Le climat était devenu presque surnaturelle, passant d'oppressant à envoutant. La renarde se colla presque contre mon torse et posa ses mains délicates et douces sur ma poitrine et mon visage, caressant délicatement ma fourrure pour descendre sensuellement vers mon propre instrument de désir qu'elle palpa en se glissant sous mon vêtement. Je ne savais pas quoi faire comme si j'étais paralysé.

« Mais je constate cher ami que je ne suis pas à votre goût. »

Elle souriait tout en retirant prestement sa main. Sans attendre un quelconque mot de ma part, elle m'attrapa et me tira avec elle plus profondément dans cet antre de luxure. Je me laissai faire, ne voulant ni la froisser ni créer de problèmes. J'étais d'ailleurs encore confus par l'expérience que j'avais vécu peu avant. Cependant, l'érotisme ambiant me procurait un certain répit.

Elle me conduisit dans le fond de son établissement, puis nous entrâmes dans une pièce coupée du couloir par un simple rideau de soie pourpre. Elle était éclairée par une simple torche sur un mur, générant une lumière tamisée et chaude. Deux divans étaient disposés symétriquement dans la pièce, séparés par une haute table où se trouvaient déjà des fruits et aliments secs qui m'étaient inconnus mais dont la senteur sucrée et douces m'emplissaient les narines.

« Installez-vous mon cher ami, m'expliqua-t-elle en tenant toujours ma main, et laissez bercer par l'hospitalité de nos amants et nos hôtes. Seul le plaisir est la règle ici, alors laissez-vous porter par le vin et votre désir. Ne vous souciez pas de l'argent, votre satisfaction est notre seule monnaie. » Elle commença à lentement retirer mes vêtements. « Nul besoin de dissimuler votre corps en ces lieux. »

Je la laissai enlever mon gilet sans résister. Elle passa ses bras autour ma taille d'un geste sensuel et dénoua le nud de mon cordon, laissant tomber à mes pieds le masque de mon intimité. Je m'en libérais pendant que d'un geste elle caressa la base de ma queue avec douceur, me faisant frissonner malgré mon indifférence à ses charmes. Cependant, l'atmosphère de sensualité était enivrante et je la laissai me porter.

« Gardez vos bijoux et bracelets... me susurra-t-elle à l'oreille d'une voix agréable. Ils mettent votre corps particulièrement en valeur. Allongez-vous, un autre invité vous rejoindra bientôt et toute l'expérience prendra son sens. »

Elle me fit un baiser sur le côté de mon museau, avant de s'écarter et se retirer en toute hâte, me laissant nu et seul dans la pièce. Je ramassai mes vêtements et les déposai sur une étagère près de l'entrée avant de m'exécuter et m'étendre de tout mon long sur l'un des divans.

« Mais qu'est-ce que je suis en train de faire ? » m'interrogeai-je dans le silence tout en regardant le plafond fixement.

Tout s'était passé tellement vite que j'avais à peine réalisé que j'étais en panique quelques minutes auparavant. Mon calme était anormal, presque surnaturel. Je ne pouvais m'empêcher de repenser à ce baiser alors que, pourtant, les femmes n'avaient jamais ému romantiquement, ni suscité une quelconque excitation. Cependant je ressentais du plaisir à cette attention, qui grandissait à mesure que le temps passait, seul dans cette pièce, au point que mon sexe commença à y répondre.

Il ne fallut pas longtemps pour que le rideau bougea et ne révèle qui serait mon partenaire dans cette nouvelle expérience. Un lion à la fourrure doré, grand et bien bâti, aux muscles parfaitement bien dessiné magnifiant une divine nudité, s'avança avec une assurance déconcertante. Sa queue était longue et magnifique, laissant flotter une touffe de fourrure tressée du plus bel effet. Son charisme et sa force transparaissait dans sa posture. Son sourire et son regard me subjuguèrent, emplissant mes joues d'une chaleur adolescent, si bien que mon corps l'exprima avec une sincérité que je ne pouvais dissimuler.

« Bonjour, beau chaton, me salua d'une voix profonde et émouvante. »

  • B-bonjour... » bégayai-je en proie à l'émotion.

D'un pas assuré, il avança vers le second divan et s'allongea avec grâce face à moi, mettant en valeur ses formes et sa virilité dont je n'arrivais à détourner le regard. Il leva sa main et claqua ses doigts dans un son sec et impérieux. Deux vulpins mâles habillés seulement de bijoux entrèrent dans la pièce dans un mouvement fluide et agile. L'un d'entre eux joua d'un instrument à vent que je n'avais jamais vu jusqu'ici et dont la mélodie douce résonna au plus profond de mon âme. Le deuxième portait une serviette et un bol rempli d'une onction dont la senteur attisait mon excitation en m'en faire perdre l'esprit.

Le lion s'étira longuement et se détendit, laissant le serviteur oindre son corps de cette huile semblable à du miel. Un fois qu'il eu terminé, il vint vers moi pour s'occuper de mon propre corps. A peine la serviette eut toucher la fourrure de mon torse qu'un frisson de plaisir me parcourut entièrement, me tirant un gémissement que je ne pus étouffer.

« Je vois que tu fais pour la première fois l'expérience du Voile d'Eros, chaton, constata le beau lion.

  • Qu'est-ce dont ? demandai-je d'une voix étouffée, les paupières fermés par l'indicible plaisir qui me parcouraient.

  • Un cadeau du Lion pour ses sujets : l'essence le plus pur du plaisir charnel. Un rituel sacré dont le Temple a la charge dans ses sanctuaires, dispensé gratuitement à tous.

  • C'est...

  • Divin ? finit-il.

  • Oui...

J'ouvris difficilement les yeux pour voir le lion se lever et s'approcher de moi avec une aura surnaturelle m'illuminant des rayons de sa beauté. Alors qu'il s'assit à mes pieds, je me redressai avec difficulté. Mon corps vibrait dans une apothéose érotique que je n'avais jamais connue jusqu'alors. Il posa une main puissante sur ma cuisse, faisant perler abondamment une érection qui menaçait à tout moment d'entrer en éruption.

« Laisse-toi aller... »

Il claqua une nouvelle fois du doigt et un nouveau servant entra dans la pièce. Il portait un plateau sur lequel se trouvait un aliment à la senteur délicate et excitante. Mon esprit embrumé par l'intensité d'un désir me submergeant ne parvint à identifier le met et je m'en fichais. Le goûter était mon seul souhait.

Le lion prit un morceau du bout de ses griffes et en pris une bouchée avant de l'amener délicatement à ma bouche. Je l'ouvris, salivant à l'idée de gouter à cette ambroisie. Il la déposa sur ma langue, laissant ses doigts dans ma gueule alors que je la refermais doucement avec gourmandise, les léchant et les suçant avec désir pour ne pas en perdre une goutte. Une sensation enivrante que je n'avais jamais connue envahit mon être.

« Bien, mon chaton... »

La main sur ma cuisse se rapprocha de mon sexe qui laissa échapper un nouveau jet du fruit de ma luxure sur mon ventre tremblant. Il empoigna mon sexe et agrippa mes bourses fermement m'amenant à la limite. De son regard émanait une lumière blanche et immaculée qui m'envahissait au plus profond de mon âme, m'enchainant avec la même sensation que j'avais ressenti dans le marché, mais infiniment plus forte. Je n'y résistais plus. Je ne pouvais plus.

« Ressens ma bénédiction. »

Sa voix était divine, terrifiante. D'un simple frottement de sa main, mon extase explosa sur mon corps avec une puissance telle que mon esprit se brisa, me laissant incapable de penser, me plongeant dans les songes d'un fantasme dans lequel j'étais maintenant emprisonner, esclave de la volonté de mon ennemi. Ses derniers mots résonnèrent comme un écho dans les ténèbres du gouffre où je sombrais.

« Tu m'appartiens maintenant, Servant de Boreas. »